JURIDIQUE. Crise sanitaire, confinement, ordonnance prises en urgence... Quelles peuvent être les conséquences en matière de garanties légales du constructeur ? Décryptage avec Marie-Pierre Alix, avocat associé et Stéphanie de Laroullière, avocat pré-associé chez DS avocats.

La crise sanitaire sans précédent que nous vivons a conduit le gouvernement à prendre, en urgence, un grand nombre de mesures exceptionnelles.

 

Le confinement ordonné et le ralentissement de l'activité des Tribunaux, voire la fermeture de certains, hors contentieux essentiels, ont rendu nécessaire de « neutraliser » le décompte des délais impartis pour agir en justice, échus pendant cette période qui s'étend, pour l'heure, du 12 mars au 24 mai 2020 à 0 heures, plus un mois, soit au 23 juin 2020 à minuit.

 

L'adaptation des délais et mesures échus

 

L'article 4 de la loi n°2020-290 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 du 23 mars 2020 (et non du 22 mars 2020 comme cité dans l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, mais rectifié dans l'ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020, visées ci-après), pose que "l'état d'urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi".

 

Dans le prolongement de cette loi, l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, précise en son article 1er que : "I. ‒ Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée."

 

 

A ce sujet, la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, est venue préciser dans une circulaire du 17 avril 2020 de présentation de l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, que la durée de l'état d'urgence sanitaire est prévue pour s'achever le 24 mai 2020 à 0 heures, de sorte que la période juridiquement protégée s'achèverait un mois plus tard, soit le 23 juin à minuit.

 

L'ordonnance du 25 mars 2020 ajoute en son article 2 que : "Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois."

 

Il résulte de ces textes que les délais et mesures visés par l'ordonnance du 25 mars 2020 susvisés, échus entre le 12 mars et le 24 juin 2020, sont prorogés en principe jusqu'au 23 août 2020 à minuit au plus tard.

 

Si l'ordonnance du 25 mars 2020 vise les délais notamment de forclusion comme bénéficiant de la prorogation de délai, elle ne précise toutefois pas explicitement s'il s'agit d'une interruption de délai, telle que définie par l'article 2231 du code civil, ou d'une suspension de délai, envisagée par l'article 2230 du code civil, ou ni l'un, ni l'autre.

 

Il s'agirait alors d'une parenthèse neutralisant cette période inédite au cours de laquelle nous sommes empêchés d'agir.

 

Sur ce point, aux termes d'une circulaire du 26 mars 2020 de présentation de l'ordonnance du 25 mars 2020 évoquée, la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, expose que ce délai supplémentaire accordé après la fin de la période juridiquement protégée ne peut toutefois excéder deux mois, ainsi :

 

- soit le délai initial pour agir était inférieur à deux mois et l'acte doit être effectué dans le délai imparti par la loi ou le règlement ;
- soit le délai initial pour agir était supérieur à deux mois et l'acte doit être effectué dans un délai de deux mois.

 

Sont en revanche, selon la Garde des Sceaux, exclus de cette mesure :

 

- les actes qui devaient être accomplis avant le 12 mars 2020 : leur terme n'est pas reporté ;
- les délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant l'expiration de la cessation de l'état d'urgence sanitaire : le terme de ces délais ne fait l'objet d'aucun report.

 

Application aux garanties légales des constructeurs

 

L'article 1792 du code civil dispose que : "Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination."

 

Les garanties légales des constructeurs, mobilisables en cas de désordres qui surviendraient après la réception d'un immeuble, sont de trois sortes :

 

- La garantie de parfait achèvement : 1 an à compter de la réception (1792-6 du code civil)
- La garantie de bon fonctionnement des éléments d'équipement dissociables : 2 ans à compter de la réception (1792-3 du code civil)
- La garantie décennale : 10 ans à compter de la réception (1792-4-1 du code civil)

 

Ce sont des délais de forclusion, interrompus seulement par une action en justice et donc pleinement concernés par les termes de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

 

Chacun de ces délais d'action est bien supérieur à 2 mois.

 

De ce qui précède, dans l'hypothèse où le dernier jour de GPA, de garantie de bon fonctionnement, ou de garantie décennale, surviendrait pendant la période protégée, toutes les actions en justice sur ces fondements juridiques sont prorogées et pourront être introduites jusqu'à la date du 23 août 2020 à minuit au plus tard.

 

Ceci étant, ladite ordonnance ne prévoit pas pour autant de décaler le délai à l'intérieur duquel un désordre doit être apparu.

 

En effet, la période de garantie n'est pas prorogée sous l'effet de cette ordonnance.

 

Partant, à titre d'exemple, concernant la garantie de parfait achèvement :

 

- Pour se prévaloir de cette garantie, il conviendra de démontrer que le désordre est bien survenu durant l'année qui a suivi la réception ;
- En revanche, il sera possible d'assigner les constructeurs concernés, afin de reprise dudit désordre, au-delà de l'année de parfait achèvement et au plus tard le 23 août 2020 à minuit.

 

Le même raisonnement peut s'appliquer aux délais de prescription visés par l'ordonnance, en matière de responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle des constructeurs.

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