INTERVIEW. La reprise est bien enclenchée dans les entreprises de canalisations, selon Alain Grizaud, président du syndicat de spécialité qui les réunit. S'il n'est pas inquiet pour le court terme, la suite est plus incertaine. En cause notamment: des projets qui ne sortent pas, alors même que les aides pour les financer restent disponibles.

Batiactu. Comment se déroulent la reprise de l'activité pour les entreprises de canalisations ?

 

Alain Grizaud. Toutes ont repris le travail, mais ne réalisent pas encore 100% de leur chiffre d'affaires normal. A fin mai, nous enregistrions un niveau d'activité de 80%. Ce devrait être à peu près la même chose en juin. Puis, nous devrions remonter à 89% en juillet, et 91% en août, peut-être plus selon la façon dont nous pourrons travailler.

 

Batiactu. Savez-vous déjà mesurer plus précisément l'impact de la crise sanitaire sur 2020 ?

 

A.G. Pour le moment, nos adhérents ne semblent pas être en grande difficulté. Malgré tout, le chiffre d'affaire perdu ne sera pas rattrapé sur la fin de l'année, et nous n'atteindrons pas les niveaux de 2019, sans pour autant pouvoir s'engager encore dans des pronostics plus précis. Tout dépendra de la suite, car la reprise actuelle s'appuie sur les carnets de commandes acquis avant la crise sanitaire. Mais il faut maintenant parler du futur, et c'est là que nous sommes plus inquiets.

 

"Le chiffre d'affaire perdu ne sera pas rattrapé."

 

Batiactu. Pourquoi cette inquiétude ?

 

A.G. Comme dans l'ensemble des métiers des travaux publics, nous avons observé un effondrement des appels d'offres pendant la crise sanitaire. Certains ont été décalés, d'autres carrément annulés. La courbe commence seulement à se redresser, très légèrement et quelques-uns ressortent. Par ailleurs, les dossiers déposés auprès des agences de l'eau pour être financés se font rares. Paradoxalement, les financements sont là, des aides et des enveloppes existent, mais il manque les projets, rien ne se monte.

 

 

Batiactu. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

 

A.G. Alors même que de nombreux acteurs et financeurs sont mobilisés pour nous accompagner dans la reprise et la relance, les maîtres d'ouvrage ne déposent pas de dossiers, et les maîtres d'œuvre sont complètement absents. Il manque un acteur dans la chaîne de notre commande pour motiver les collectivités, inciter à réaliser des programmations, assurer un suivi. La maîtrise d'œuvre doit sortir véritablement du confinement et du télétravail, retourner sur le terrain. De son côté, la maîtrise d'ouvrage, qui avait réclamé des financements dont elle ne se sert pas suffisamment, doit passer au concret. Il aurait été possible de pousser des projets et finaliser des dossiers durant les trois mois de confinement et de télétravail si la volonté y était. Le potentiel est là, des besoins existent, nous avons des équipes pour les réaliser, des enveloppes sont disponibles. Désormais, il faut juste se remettre au travail pour relancer la machine.

 

"Le potentiel est là, des besoins existent, nous avons des équipes pour les réaliser, des enveloppes sont disponibles. Il faut juste se remettre au travail."

 

Batiactu. Quel est le risque pour les entreprises si elle n'est pas relancée rapidement ?

 

A.G. Nous ne sommes pas à l'abri d'une casse salariale monstrueuse au dernier trimestre si rien ne bouge. Même si nos entreprises tiennent le choc à cet instant, elles se sont tout de même contractées. L'impact est observé sur l'intérim, dont la courbe est très basse alors même que c'est une période durant laquelle nous y avons massivement recours. Les perspectives d'embauches ne sont pas négatives pour le moment, mais les intentions ont d'ores et déjà baissé.

 

Batiactu. Vous avez lancé un appel, avec la FNTP et l'UIE, afin de renforcer encore le rôle des agences de l'eau. Pourquoi ?

 

A.G. Ces agences sont la cheville ouvrière la plus importante de notre chaîne. Il faut d'ailleurs les remercier car, dès le début de la crise, elles ont cherché des solutions pour accompagner la filière, grâce à du soutien aux trésoreries ou au lancement à venir de nouveaux appels à projets. Elles ont donc joué pleinement leur rôle, qui n'est pas seulement conjoncturel mais correspond à de réels besoins, de soutien à notre secteur d'activité. Les agences sont prêtes à donner un coup d'accélérateur, il faut que leurs tutelles suivent.

 

 

Batiactu. Quels moyens leur permettraient de donner ce coup d'accélérateur ?

 

A.G. La capacité de financement des agences est limitée par la notion de plafond mordant [actuellement fixé à 2,1Mds€ par an, toutes les recettes perçues au-delà de ce seuil vont ensuite dans les caisses de l'Etat, NDLR]. Pour davantage subventionner les projets des collectivités, il faut accepter de relever ce palier. Par ailleurs, il serait bon d'assouplir les critères d'éligibilité aux aides et d'ouvrir l'assiette. Au moins pendant un temps : comme peu de projets sont déposés, cela permettrait d'en valider plus, et d'utiliser les financements.

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