S'il existe un secteur dans lequel l'euro a du mal à s'imposer c'est bien dans l'immobilier où, de l'avis de l'ensemble des professionnels, le franc français va encore rester la monnaie de dialogue, de calcul et de repère pendant de longues années.

"Parler à un client d'un prix moyen de 3.058 euros le mètre carré alors qu'il s'agit de 20.000 FF le mètre carré ou d'un logement à 381.122 euros contre 2,5 M FF relève de la gageure", explique un agent immobilier parisien.

Seuls les étrangers et les agences immobilières frontalières s'expriment volontiers en euro, la monnaie unique représentant pour eux un élément de simplification alors que pour les autres, il s'agit plutôt d'un casse-tête et surtout d'une source de confusion.

Les anciens de la profession se rappellent les difficultés liées au passage de l'anciens franc au nouveau franc, il y a plus de 40 ans malgré l'apparente simplicité d'une division par 100. L'immobilier a eu du mal à s'y mettre et il y a encore une dizaine d'années, beaucoup de Français raisonnaient pour leurs maisons encore en "anciens francs" et pas seulement les plus âgés, a noté le président de la Fnaim (Fédération nationale des agents immobiliers), Philippe Audras.

Certains agents soulignent que les irréductibles des anciens francs se révèlent dès qu'ils évoquent des prix dans l'immobilier.

Un sociologue considère d'ailleurs ce retard d'adaptation pour les achats, ventes et locations de logements comme tout à fait logique. Pour les achats rares et à fortiori les grosses sommes, l'euro aura du mal à détrôner le franc d'autant que les références en franc sont nombreuses. Les consommateurs ont besoin de repères quand il s'agit de mobiliser d'importants montants, de calculer d'éventuels gains par rapport au prix d'achat du dernier appartement, de prévoir des revenus...

"Nos commerciaux parlent d'emblée en euros aux clients qui se présentent dans nos agences mais, armés de calculettes, les clients répondent systématiquement en convertissant le montant en francs. Le dialogue, la discussion sur les prix, s'engage donc en francs et nous n'avons aucune raison de déstabiliser le client en continuant à lui parler en euros", explique Corinne Engel, directrice du réseau d'agences parisien, Residential. "Même les prix des annonces immobilières, qui sont publiées uniquement en euro dans les journaux, sont immédiatement convertis par les clients. Lorsqu'ils nous appellent, ils s'expriment dans la monnaie nationale ce qui peut d'ailleurs parfois prêter à confusion", a-t-elle ajouté.

D'une part, la conversion peut être mal faite et parfois sur les sites internet, des erreurs se sont produites. Un appartement de 350 m2 dans l'ouest parisien a ainsi été proposé sur l'internet 1 million de francs alors qu'en réalité il coûtait 1 million d'euros. "Pendant quelques heures, notre standard a d'ailleurs explosé par des appels de clients attirés par ces prix anormalement bas!!!", évoque Mme Engel.

Jean-François Buet, administrateur national de la Fnaim et agent immobilier à Dijon et Paris, constate également que l'euro est loin d'être prêt à entrer dans les moeurs immobilières. "Il ne s'agit pas de mauvaise volonté de la part des clients ou des agents immobiliers mais tout simplement d'une difficulté à s'adapter à l'absence de points de repères". La plus grande difficulté est celle des ratios des prix en mètre carré, estime-t-il.

Chez le promoteur Cogedim, le responsable des ventes d'immobilier entreprise, en contact avec des décideurs, théoriquement bien rôdés à l'euro, souligne que les dialogues dans les transactions se déroulent à 95% en francs.

Pour ces professionnels, il n'est pas question de supprimer rapidement le double affichage et tous parient que, parmi tous les commerces, les agences immobilières seront les seules encore pendant plusieurs mois si ce n'est un ou deux ans à pratiquer le double affichage, même au risque d'être taxés de "ringards ou d'europhobes".

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