Dans une lettre ouverte à l'attention des maîtres d'ouvrages publics, les grandes organisations représentatives de la maîtrise d'oeuvre s'inquiètent des projets du gouvernement visant à généraliser la procédure de conception-construction.

"Aujourd'hui le gouvernement envisage de déroger, par voie d'ordonnance, aux règles de la construction de bâtiments et d'équipements publics.

La construction des bâtiments et équipements publics est soumise, en France, au respect de certaines règles qui visent à favoriser la qualité des constructions et le bon emploi des deniers publics. Une des plus efficaces en est l'intervention, aujourd'hui obligatoire d'une équipe de maîtrise d'oeuvre, indépendante des marchés de construction.
Cette intervention va être supprimée par le gouvernement qui, pour répondre rapidement à une demande sociale qualifiée d'urgente, entend réduire les délais et coûts de certaines constructions publiques, en recourant pour ces programmes, à la procédure de conception-réalisation.
D'exceptionnelles, ces mesures dérogatoires risquent vraisemblablement de devenir la règle.

Il n'est pas de notre responsabilité de juger de l'opportunité d'une telle politique, mais cette procédure présente des risques. Il est donc de notre devoir d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur ce point et tout particulièrement celle des élus des collectivités locales et territoriales et de tous les maîtres d'ouvrage publics qui auront à la mettre en oeuvre. En effet, les avantages annoncés sont parfaitement illusoires, notamment au regard :

- de la perte de la qualité architecturale et technique au profit de "produits" banalisés,
- des dérives financières, notamment celles induites par le processus lui-même, susceptibles d'entraîner en cours de réalisation la remise en cause de projets insuffisamment élaborés,
- d'une maîtrise réduite de la fiabilité, de la durabilité et de la sécurité des constructions en raison même de la compression des délais qui pèse essentiellement sur la phase conception,
- de la dépendance à terme de la maîtrise d'ouvrage publique face à une concurrence et à des choix de plus en plus restreints,
- de l'inéluctable déstructuration du tissu régional des PME du bâtiment qui résulterait d'une utilisation élargie de la conception-réalisation.

L'objectif de développement durable, largement réaffirmé par les responsables privés et publics et soutenu au plus haut sommet de l'Etat, peut-il s'accommoder d'une telle réduction de dialogue sur les choix de conception et de construction à tous les stades de la vie des ouvrages ?

Le gouvernement a décidé de prendre par ordonnance des mesures de simplification administrative pour minorer les lenteurs préjudiciables aux citoyens. Ne serait-il pas préférable de maintenir les procédures classiques en les aménageant, et poursuivre l'objectif d'alléger les lourdeurs administratives qui constituent, elles, une véritable entrave à la construction publique et privée, particulièrement dans le domaine social ?

Sur ces sujets essentiels, le gouvernement doit apporter une réponse claire qui prenne en compte de manière responsable le cadre de vie de nos concitoyens et des générations futures.

Votre rôle dans le cadre de la qualité globale et durable du secteur de la construction est particulièrement important pour les constructions publiques dont vous êtes parfois les initiateurs ou les financiers, mais toujours les responsables face à l'opinion publique. Merci du soutien que vous apporterez à cette démarche".

Jean-François Susini, Président du Conseil National de l'Ordre des Architectes
Yann Leblais, Président de Syntec-Ingénierie
François Pélegrin , Président de l'UNSFA
René Gamba, Président du CICF
Patrick Colombier, Président du Syndicat de l'Architecture
Gérard Bornet, Président d'UNTEC
Jean-Pierre Antoine, Président d'UNAPOC



Ndlr : Les organisations signataires de cette lettre - qui sera également publiée mercredi 12 mars dans l'édition du journal du Monde datée du 13 mars - représentent les acteurs français de la maîtrise d'oeuvre des constructions, architectes, ingénieries, ingénieurs-conseils, économistes de la construction, spécialistes de l'ordonnancement et du pilotage de chantiers.
Ils concourent à la conception et à la mise en oeuvre des constructions de toute nature, en France comme à l'étranger, et représentent 200 000 personnes réparties sur l'ensemble du territoire, réalisant un chiffre d'affaires de 15 milliards d'Euros.



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