ENTRETIEN
En attendant la publication définitive des textes pour la 6ème période des Certificats d'Economies d'Energie, Philippe Bohbot, Président d'ACE Energie, délégataire CEE, revient sur les grands défis que celle-ci devra relever.


Quels sont les principaux changements et les nouvelles ambitions de cette 6ème période des CEE, notamment en termes d'objectifs et de volume d'obligations ?


Tout d'abord, les CEE ont souvent souffert d'une image négative, en particulier l'été dernier avec la publication d'un rapport de la cour des comptes, très critique du dispositif. Il est donc important de restaurer l'image du dispositif, qui est et reste le dispositif de financement de l'efficacité énergétique le plus important en France.

La 6ème période des CEE augmente le niveau d'obligation annuelle et vient rééquilibrer le financement de l'efficacité énergétique dans le secteur des transports. De plus, la période va durer 5 ans (2026-2030) apportant de la visibilité sur le marché, ce qui est très bénéfique pour le dispositif.

Le projet de décret envisage un passage de l'obligation annuelle de 825 TWhc (P5) à 1 050 TWhc, applicable sur 5 ans. Pour le moment, les textes prévoient une obligation précarité de 280 TWhc/an. Nous aurions donc une hausse, toutes choses égales par ailleurs, de 27% de l'obligation par rapport à la 5ème période. Toutefois, l'obligation prévisionnelle est en réalité définie par les coefficients d'obligation par source d'énergie et est donc dépendante du scénario sous-jacent de baisse de la consommation d'énergie. C'est-à-dire que si la consommation d'énergie décroit moins rapidement que ce qui est prévu dan le calcul, alors l'obligation définitive pourrait être supérieure à celle prévue (soit 1 050 TWhc).

Ces annonces représentent un niveau ambitieux pour cette nouvelle période et constituent un signe positif pour la filière de la rénovation énergétique.

Ces derniers mois, on observe une forte tendance à accentuer les financements dans les transports, qui était historiquement le secteur le moins financé par rapport à sa contribution aux CEE. Ce renforcement est cohérent avec les recommandations de l'étude portant sur les nouveaux gisements d'économies d'énergie (GPCEE, 2024) qui préconisait de mettre en place un cadre favorable à l'électrification des transports dans le mécanisme des CEE.

De plus, de nouvelles règles vont rebattre les cartes sur certaines fiches, comme on l'a déjà observé avec la publication du 71ème arrêté qui a entrainé la suppression de 10 fiches CEE, pour lesquelles les actions d'économies d'énergie sont considérées comme ayant un temps de retour sur investissement inférieur à 3 ans, sans les aides.

La 6ème période va donc vers une rationalisation des aides pour les flécher vers des gestes qui ne seraient pas effectués sans l'incitation financière des CEE.


La rénovation globale est un axe important pour atteindre les objectifs français en matière d'efficacité énergétique. Comment est-elle appréhendée dans le cadre des CEE ? Est-ce aussi un objectif de la 6ème période ?


Au cours des derniers mois, on a observé une augmentation de l'intérêt des artisans pour la rénovation globale sur des copropriétés et cela pourrait s'intensifier au cours de la P6, avec une règlementation qui se durcit, par exemple avec l'impossibilité de location des passoires énergétiques.

Cette opération bénéficie d'une prime CEE conséquente, dans le cadre d'un Coup de Pouce, associé à la fiche CEE "Rénovation globale d'un bâtiment résidentiel collectif" (BAR-TH-177) et s'applique aux opérations engagées jusqu'au 31 octobre 2029. Elle va donc continuer à être mobilisée dans les premières années de la 6ème période des CEE.



Quels sont les mécanismes incitatifs mis en place pour favoriser les travaux de rénovation énergétique ?


Dans le prolongement de la P5, certains travaux continuent d’être financés par des coups de pouce ou des bonifications, c’est le cas par exemple du coup de pouce chauffage de bâtiment résidentiel collectif et tertiaire. Il a été prolongé récemment et vise des travaux pouvant être engagés jusqu’à fin 2026.

La rénovation globale dans le résidentiel collectif est financée par l’intermédiaire d’un coup de pouce, pour inciter les copropriétés, les bailleurs etc. à effectuer des travaux de rénovation globale.

Les montants des primes sont significativement plus élevés si vous réalisez plusieurs gestes de travaux dans le cadre d’une rénovation globale que lorsque vous réalisez seulement un geste de façon isolée. D’un point de vue technique, réaliser plusieurs gestes simultanément permet également de mieux gérer les interfaces et les interactions entre différents postes de travaux.

Par ailleurs, le fait que les gestes individuels de travaux continuent d’être financés est une très bonne chose. Dans certains contextes, il n’est en effet pas possible de réaliser une rénovation globale, parce que celle-ci est techniquement impossible, ou parce que d’autres gestes de rénovation ont déjà été réalisés par le passé (par exemple, installer une pompe à chaleur). Il est donc crucial que les deux systèmes continuent de fonctionner de concert, en toute complémentarité.



La 5ème période a vu une augmentation des contrôles et une lutte renforcée contre la fraude. Comment ces mesures seront-elles maintenues ou intensifiées en 6ème période ?


Les contrôles ont augmenté au cours de la 5ème période avec des exigences croissantes, en nombre d’opérations contrôlées et en taux de satisfaction. C’est une bonne chose. La filière de la rénovation énergétique souffre d’une image très dégradée à cause de mauvais faiseurs qui décrédibilisent toute une profession.

Une loi (dites PPL Cazenave) a été adoptée au printemps pour lutter contre la fraude aux aides publiques et celle-ci embarque notamment le vaste sujet de la rénovation énergétique. Parmi les mesures clés, on retrouve par exemple le fait que les aides CEE pourront être pondérées dans l’objectif de maintenir un temps minimal de retour sur un investissement ou un reste à charge minimal pour les bénéficiaires, visant à limiter les travaux à 1€. Elle intègre également la question des contrôles, avec l’introduction de l’obligation, pour certaines opérations, de réaliser des photographies horodatées et géolocalisées ou des contrôles par vidéo à distance attestant de la réalisation desdites opérations.

Elle renforce aussi les règles de sous-traitance des travaux et les règles pour ouvrir un compte sur EMMY, la plateforme permettant d’effectuer des demandes de CEE.

Ces nouvelles mesures devraient permettre de limiter la fraude aux aides à la rénovation énergétique.



Y a-t-il des filières ou des types de travaux qui seront particulièrement mis en avant et qui représenteront des opportunités majeures dans cette 6ème période ?


De nombreuses fiches CEE ont été abrogées au 1er août 2025 (71ème arrêté CEE), à la fois dans le secteur tertiaire et dans l’industrie. Ces fiches représentaient des sources de financements parfois importantes pour les bénéficiaires des primes. Les pouvoirs publics comptent sur le fait que ces gestes d’économie d’énergie continueront d’être réalisés même sans incitations financières associées. Nous ne sommes pas aussi optimistes, mais nous espérons vivement que cette décision ne viendra pas étouffer des filières de travaux de rénovation énergétique.

Dans le secteur industriel, la fiche CEE finançant la mise en place d’un système de pompe à chaleur en rehausse de température de chaleur fatale récupérée est intéressante à mettre en œuvre, autant d’un point de vue efficacité énergétique, que pour la limitation des émissions de gaz à effet de serre (qui est un co-bénéfice du dispositif des CEE, même si ce n’est pas son objectif). Avec le même objectif d’électrification dans l’industrie, d’autres gestes seraient pertinents à financer par l’intermédiaire des CEE, comme les pompes à chaleur pour le chauffage des locaux (fiche qui existe dans le tertiaire mais pas dans l’industrie), ou encore les chaudières électriques qui ont, elles aussi de belles perspectives.

Par ailleurs, le calcul de plusieurs fiches d’opérations standardisées et des opérations spécifiques est passé en énergie finale intégrale, ce qui va permettre de générer d’avantage d’économie d’énergie pour toutes les installations passant d’un fonctionnement avec une énergie fossile à une installation électrique. Cette bascule vers plus d’électrification s’inscrit dans la trajectoire de décarbonation prévue par la France, qui prévoyait une hausse importante de la demande électrique, qui n’a pas encore eu lieu pour le moment.

Dans le secteur du bâtiment (résidentiel et tertiaire), le type de travaux qui a de belles perspectives pour la prochaine période, c’est le raccordement à des réseaux de chaleur. Ce type de travaux est fortement encouragé, dans le cadre du coup de pouce chauffage de bâtiment résidentiel collectif et tertiaire, qui a été prolongé, pour des travaux engagés jusqu’au 31 décembre 2026.

En outre, le cours des CEE a eu tendance à augmenter au cours des derniers mois, ce qui a permis d’encourager la reprise de travaux en « geste par geste », qui avaient presque disparu du marché des CEE et rendus plus rentables par la hausse du prix du Mwhcumac. Cette augmentation du nombre de travaux, notamment dans le résidentiel, est positive, puisqu’elle permet la réalisation d’actions d’économies d’énergie pour des logements dont les contraintes techniques ne permettent pas toujours, d’effectuer des rénovations plus ambitieuses ou plusieurs gestes de travaux simultanément. Enfin, la 6ème période des CEE prévoit de dédier 280 TWhc / an en faveur des ménages les plus précaires. Ce financement devrait permettre d’inciter les travaux d’économie d’énergie dans le secteur résidentiel.

Enfin, le secteur qui a un fort potentiel de croissance dans les CEE ces prochains mois est celui des transports, pour lequel de nouvelles fiches sont entrées en vigueur en janvier 2025 et qui commencent à prendre de l’ampleur. Les nouvelles fiches visent l’électrification des véhicules, notamment avec l’instauration d’un Coup de Pouce, associé à la fiche TRA-EQ-117. Ce Coup de Pouce va inciter les bénéficiaires à mobiliser cette aide, néanmoins sa courte durée (de 6 mois uniquement) nous interroge. Si ce Coup de Pouce s’avérait être un succès, nous féliciterions une prolongation du dispositif.



Comment allez-vous accompagner les installateurs pour s'adapter aux éventuelles modifications des fiches d'opérations standardisées et à l'introduction de nouvelles fiches ?


En tant que délégataire, notre rôle est de comprendre et d’appliquer la réglementation. Cela passe aussi par la formation de nos partenaires, pour leur transmettre les bons modèles de documents, pour être toujours conformes. D’ailleurs, nos équipes ont développé un logiciel d’édition de documents (SICA) qui permet aux installateurs de réaliser des dossiers de demande de CEE conformes du premier coup.

Nous sommes agiles et nous nous adaptons rapidement aux modifications et accompagnons nos partenaires sur la mise en place de nouvelles offres. Actuellement, nous attendons que les contours de la nouvelle fiche sur la rénovation globale dans le tertiaire, qui est actuellement en cours d’élaboration à l’ATEE, se dessinent plus précisément. Ensuite, nous accompagnerons nos partenaires installateurs qui réalisent déjà ce type de travaux, pour les aider à mobiliser les aides les plus pertinentes pour leurs clients, en leur offrant un accompagnement technique et financier. Nous souhaitons que cette future fiche ne reproduise pas reproduire les erreurs des précédentes fiches de rénovation globale, en ne faisant pas reposer la totalité des aides sur la base d’un audit énergétique, qui reste manipulable.



Quel conseil essentiel donneriez-vous aux installateurs pour qu'ils abordent au mieux cette 6ème période des CEE ?


En tant que délégataire CEE, mon conseil aux installateurs pour aborder la 6ème période est de se concentrer sur trois axes principaux : la formation, la collaboration et l'anticipation.

  • Formation : Se tenir informé des évolutions réglementaires liées aux CEE, la réglementation évolue constamment et il faut se former continuellement pour s’assurer de l’éligibilité des projets.

  • Collaboration : Travailler en partenariat avec des acteurs de qualité, qui ne vous feront pas défaut est la clé pour sécuriser l'éligibilité des dossiers et vous aider à naviguer dans le processus administratif de la demande de CEE.

  • Anticipation : Planifier les projets en amont pour identifier les opportunités de financement et intégrer les exigences des CEE avant le début des projets.

Enfin, les CEE représentent une enveloppe de plusieurs milliards d’euros par an, ce qui en masse monétaire est plus important que le financement des énergies renouvelables par exemple. Il est donc important de restaurer l’image de ce dispositif, d’œuvrer pour sa fiabilité et son efficacité.