La baisse des investissements publics conjuguée au développement de l'ingénierie (para-)publique génèrerait un manque à gagner colossal pour l'ingénierie privée. Réagissant à la publication d'une étude récente sur le sujet, Dominique Sutra Del Galy, le président de la fédération Cinov, nous fait part de ses propositions pour une meilleure répartition de l'activité.

Les résultats de l'étude menée par le cabinet Kyu pour l'Observatoire paritaire des métiers du numérique, de l'ingénierie, des études et du conseil (Opiiec) ont même surpris la fédération Cinov et son président : "On ne voyait pas une part potentiellement aussi importante : un tiers de l'activité du secteur ingénierie est réalisé par le privé et deux tiers par le public !", nous confie Dominique Sutra Del Galy. Le chiffre d'affaires correspondant s'établit donc, annuellement, à 3,5 Mrds € pour le secteur de l'ingénierie privée et 7 Mrds € pour les agences publiques et assimilées (agences techniques départementales, sociétés publiques locales, syndicats mixtes…). La fédération des syndicats de métiers de la prestation intellectuelle, du conseil, de l'ingénierie et du numérique estime pâtir de cette concurrence, "parfois peu loyale, les consultations et réponses n'étant pas faites de façon comparables". D'autant que, dans le même temps, les investissements publics ont diminué.

Moins de marchés publics, plus de concurrence

Après une certaine stabilité, entre 2011 et 2014, l'activité liée au BTP devrait connaître une décroissance annuelle de l'ordre de -2 %, impactant plus particulièrement les PME et TPE. D'après le sondage Kyu-Opiiec, le chiffre d'affaires issu de la commande publique auprès des structures d'ingénierie privée de la construction aurait chuté de -16,7 % pour les entreprises de 50 à 249 salariés et de -12,5 % pour celles de moins de 10 personnes. Des diminutions qui auraient un impact direct sur l'emploi : plus de 3.300 postes équivalents temps-pleins auraient été détruits entre 2011 et 2014, avec une tendance qui devrait se poursuivre jusqu'en 2017, quand 2.400 emplois supplémentaires auront disparu. En tout, près de 6.000 postes correspondant à 14 % des effectifs du secteur. Mais, paradoxalement, le secteur public s'est développé et a élargi son périmètre d'intervention : il comptait plus de 28.000 ingénieurs en 2011 (+154 % en 10 ans) et ses budgets ont augmenté entre 2011 et 2014. La fédération Cinov souligne : "Le secteur privé finance, via ses impôts, le développement d'un secteur public qui le concurrence".

 

Face à cette situation, Dominique Sutra Del Galy nous explique : "Au Cinov, nous disons qu'il faut travailler et trouver une bonne complémentarité entre les ingénieries, plutôt qu'une concurrence. Il faut que la maîtrise d'ouvrage publique fasse appel au secteur privé, via l'assistance à maîtrise d'ouvrage ou l'aide à exploitation des projets". Le président de la fédération plaide pour une meilleure sollicitation de l'ingénierie privée et une concertation accrue avec l'agent public. "Il faut clarifier les rôles et les missions des structures publiques qui interviennent dans le domaine du conseil et de l'ingénierie", estime-t-il. "Il serait intéressant de mettre en place un observatoire de ces rôles et missions". La fédération propose à ce propos l'élargissement de l'Observatoire de la concurrence aux acteurs publics. "Nous proposons aussi de créer un portail d'information pour rendre visible l'offre de l'ingénierie privée, ses implantations et ses compétences, et permettre ainsi aux maîtres d'œuvre de mieux choisir", poursuit le président du Cinov.

Risque de perte d'hyperspécialisations

La fédération insiste sur la nécessité de trouver une articulation locale, sous l'égide de l'Etat, entre les différents acteurs publics et privés. "La volonté de chacun est de travailler mieux, plus vite et moins cher", analyse Dominique Sutra Del Galy. "Il y a un risque de perte de savoir-faire, car l'impact est plus marqué sur les PME-TPE, notamment au moment de la transmission des entreprises, qui parfois cessent leur activité et disparaissent, car les chefs d'entreprises ne sont pas remplacés. Or ils sont la sauvegarde de l'ingénierie patrimoniale française. Les petites entreprises sont importantes dans la gravimétrie de l'ingénierie nationale", martèle-t-il. Le président de la fédération met en avant les capacités de formation, d'évolution et d'adaptabilité des membres du Cinov, qui seraient plus réactifs que les agences publiques. "L'ingénierie privée à un coût, mais on peut imaginer de mutualiser les besoins de services entre plusieurs clients ou d'optimiser les temps d'études", annonce-t-il. "Il est urgent de trouver des moyens de communiquer en région, grâce à cette étude, d'interpeller et d'interroger les politiques !", conclut-il.

 

Méthodologie de l'étude Kyu-Opiiec :
L'étude sur l'investissement public et le développement de l'ingénierie (para-)publique se fonde sur 1.200 réponses dont 763 administrations publiques, 421 sociétés d'ingénierie privées et 57 structures d'ingénierie publiques/parapubliques. Une centaine de documents de référence ont été analysés et 60 entretiens ont été menés avec les différentes parties prenantes, notamment dans le cadre du Salon des Maires 2014.

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