INTERVIEW. Le 27 septembre 2015 marquait la date limite de dépôt des Agendas d'accessibilité (Ad'AP). Cinq mois plus tard, quel bilan peut-on tirer du processus de mise en accessibilité des établissements recevant du public ? La France va-t-elle rattraper son retard ? Luc Givry, architecte et membre de l'association pour la recherche sur la ville et l'habitat (Arvha) nous livre son point de vue.

Batiactu : La DRIEA Ile-de-France et l'ARVHA ont organisé le 18 février dernier une rencontre sur le thème « Ad'AP 2016-2018 : 3 ans pour réussir l'accessibilité ». Quel était l'objectif de cette réunion et les messages que vous souhaitiez faire passer ?
Luc Givry :
Nous avions constaté qu'il y a souvent une certaine incompréhension sur le nouveau mécanisme Ad'AP chez les gestionnaires d'un parc d'ERP, et les collectivités territoriales sont ici en première ligne. Une mise au point était nécessaire.

 

Le point le plus incompris est que l'Ad'AP n'est pas une fin en soi, mais seulement la première étape d'un processus à long terme. En effet, une fois validé, l'Ad'AP doit se poursuivre par une demande d'autorisation de construire, d'aménager ou de modifier (ACAM) pour chacun des ERP. Un Ad'AP et autant d'ACAM que d'ERP. Beaucoup pensent que la validation de l'Ad'AP vaut accord des dérogations qui y sont mentionnées, ce qui est très inexact. Seul l'ACAM permet de demander et d'obtenir une dérogation.

 

"Nous sommes loin de la moitié du chemin !"

 

Batiactu : De fait, selon le dernier bilan publié par la Délégation Ministérielle à l'Accessibilité, il apparaît que, au 1er février 2016, 321.000 ERP sont entrés dans une démarche Ad'AP et qu'il reste seulement un tiers d'entre eux qui ne sont pas dans le processus. Que pensez-vous de ces chiffres ?
L. G. :
Selon la DMA, sur un million d'ERP en France, environ 30% sont en conformité, 32% sont entrés dans la démarche Ad'AP, 9% ont demandé un report et 29% n'ont pas bougé. Cela signifie que 54% des ERP non accessibles ont renvoyé à plus tard ou n'ont encore rien fait ! Nous sommes loin des objectifs. Mais là encore, l'Ad'AP n'étant que la première étape, il faudrait connaître le nombre d'ACAM déposés. Cette donnée n'est pas connue aujourd'hui. Nous sommes loin de la moitié du chemin !

 

Ajoutons qu'il y a tellement de dérogations possibles que le 100% ERP accessibles n'arrivera jamais. Connaîtrons-nous le nombre d'ERP qui ont demandé et obtenu une dérogation. Qui sait ? Peut-être un jour ?

 

Luc Givry
Luc Givry

 

Batiactu : Quel rôle a donc l'architecte que vous êtes pour sensibiliser davantage à la mise en projet des agendas ?
L. G. :
Avec l'ARVHA, d'autres réunions d'information sont prévues. Nous envoyons également des newsletters aux élus, aux architectes. Je le répète, il faut informer sur les ACAM, dire que l'Ad'AP n'est qu'une première étape qui ne permet pas de réaliser les travaux. Il faut ensuite les faire attester conformes aux règles d'accessibilité.

 

Batiactu : L'arrêté du 8 décembre 2014, puis le décret de décembre 2015 vont-ils dans le bon sens ?
L. G. :
L'arrêté de décembre 2014 étend à toutes les catégories d'ERP les règles non pas simplifiées mais affaiblies de 2007 qui ne concernaient que les 5ème. Comme ses prédécesseurs de 2006 et de 2007, il s'exprime surtout en minima "Il faut au minimum que…" que beaucoup comprennent par "Le minimum est ce qu'il faut !". Ce qui est rarement le cas. Cela donne, par exemple, de nombreux sanitaires dont on ne peut pas refermer la porte de l'intérieur, des lave-mains d'angle inutilisables, des cercles de 1,50 m dans des locaux où il est impossible d'entrer, etc.

 

"Seule l'inaccessibilité coûte cher"

 

Le décret du 24 décembre 2015 ne concerne que l'habitat et va dans le même sens que l'arrêté ERP de décembre 2014, c'est-à-dire plutôt le mauvais. Quelques mesurettes sans vraie pertinence, n'améliorant en rien l'accessibilité des logements, bien dans l'air du temps et du recul constant depuis 2006.

 

Je reste au final assez pessimiste sur l'avenir de l'accessibilité française. Heureusement, nous rencontrons des personnes de plus en plus nombreuses qui en comprennent bien les enjeux et se donnent les moyens d'y parvenir, des moyens beaucoup plus intellectuels que financiers. En conclusion, seule l'inaccessibilité coûte cher.

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