La ministre du Travail a présenté, ce mardi 23 février, de nouvelles dispositions pour lutter contre le travail illégal et les fraudes au détachement, qui viendront s'ajouter à la carte d'identification officiellement lancée, et au renforcement des contrôles, surtout les soirs et weekends. Réactions.

En pleine crise sur sa future réforme du travail, pas facile pour Myriam El Khomri, ministre du Travail, de focaliser les esprits sur la lutte contre le travail illégal dans le BTP. Et pourtant, c'était le sujet de ce mardi 23 février 2016, date choisie par le gouvernement pour présenter ce nouveau plan d'attaque pour le bâtiment alors qu'était publié au Journal officiel le décret sur la carte d'identification professionnelle du BTP. Aux côtés de Michel Sapin, ministre des Finances et ancien ministre du Travail - tout un symbole - et des acteurs du BTP (Capeb, FFB, FNTP et Scop BTP), elle a signé une convention nationale en faveur de la lutte contre le travail illégal et les fraudes au détachement dans le secteur du BTP. Une convention qui prévoit des engagements forts de chacune des parties, a souligné Myriam El Khomri.

 

Des contrôles sur les chantiers publics et privés


En premier lieu, des contrôles renforcés notamment durant les weekends et les soirs. Une victoire pour les professionnels du bâtiment, qui réclament cette mesure depuis longtemps. « C'est une véritable avancée ! Jusqu'à présent, les contrôles s'opéraient la semaine. Désormais, les contrôles les soirs et les weekends devraient calmer ceux dont les fourgonnettes s'installent dans les villes et qui travaillent de manière totalement illégale. Hors sécurité et hors coût du travail classique. Cela se fera sur des chantiers publics et privés, dès lors que les services de contrôle (douanes, police et gendarmerie) sont autorisés à intervenir. Ce sera plus compliqué pour les particuliers, car il faut entrer chez les gens, malgré tout, il faudra vérifier les véhicules qui sont devant ces chantiers et demander leur carte aux ouvriers », nous explique Patrick Liébus, président de la Capeb. Ne risque-t-on pas d'aller vers un phénomène de délation ? « Ce n'est pas un problème de délation, c'est le rôle des organisations professionnelles qui ont désormais le droit de se porter partie civile dans les procédures engagées en matière de travail illégal. Ce ne sera pas un délit de sale gueule ou de plaques d'immatriculation, c'est juste faire en sorte que des salariés ne soient plus maltraités sur notre territoire par des entreprises peu scrupuleuses. On reviendra alors à des prix plus logiques dans la construction et à une meilleure qualité », soutient-il.

 

Une carte du BTP tant attendue

 

Ces contrôles seront donc possible grâce à la mise en place de la carte d'identification professionnelle, instaurée ce mardi par la publication du décret au Journal officiel. La carte portera, comme Batiactu vous l'annonçait début janvier, diverses mentions comme l'identité du salarié, un QR code permettant d'accéder aux données sur le salarié, les coordonnées de la caisse du BTP, une photo, la raison sociale de l'entreprise, le numéro SIREN, le logo de l'entreprise, la mention « salarié intérimaire » ou « salarié intérimaire détaché »… « Cette carte va enfin permettre de savoir qui est qui sur un chantier. L'objectif est qu'elle soit envoyée aux entreprises et que les forces de contrôle aient accès aux bases de données d'ici à septembre ou octobre 2016. Il y a environ 2.5 millions de cartes à répartir, c'est un travail logistique important, il faut des outils informatiques adéquats », nous confie, pour sa part, Jacques Chanut, président de la FFB… Mais quid du coût pour les entreprises ? « Il y aura en effet un coût qui sera annoncé prochainement, mais qui restera très sincèrement modique par rapport aux enjeux. Car rappelons-le, la fraude au détachement est le carburant aux offres anormalement basses et à l'effondrement des prix », martèle-t-il.

 

Des chiffres qui rassurent

 

Myriam El Khomri a également rappelé l'arsenal d'outils mis en place depuis 2014. « Tout employeur établi à l'étranger et qui souhaite détacher des salariés en France doit désormais faire une déclaration de détachement », a-t-elle précisé ce mardi matin. En cas de non-respect de cette obligation, une amende administrative allant jusqu'à 500.000 € pourra être appliquée. De plus, a été instauré la responsabilité sociale et solidaire des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre, tandis que le DIRECCTE peut aussi prononcer la suspension de la prestation de service international. Et les résultats sont là, s'est réjouie la ministre. Le nombre mensuel d'interventions de contrôle est passé de 600 en juin 2015 à plus de 1.300 par mois depuis septembre dernier ; 139 amendes ont été notifiées au second semestre 2015 pour un montant cumulé de 675.700 € ; 15 fermetures préfectorales ont été initiées ou prises. « L'arme la plus dissuasive », selon Myriam El Khomri. Un autre bilan sera établi, via le comité interministériel qui sera présidé par Manuel Vall, en mars prochain.

 

Un danger pour les auto-entrepreneurs ?

 

Et ce n'est pas fini. « Beaucoup a été fait, mais nous ne comptons pas nous arrêter là », a-t-elle déclaré ce mardi 23 février. Ainsi, elle souhaite « parachever l'arsenal législatif », et une nouvelle série de mesures, inspirées dus préconisations du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sera inscrite dans le projet de loi qu'elle porte actuellement et qui sera présenté en Conseil des ministres le 9 mars prochain. Parmi celles-ci : extension de l'obligation de vigilance des maîtres d'ouvrage ; droit de timbre aux coûts administratifs liés au détachement pour l'employeur ; étendre la possibilité pour le DIRECCTE de suspendre la prestation de service internationale si l'employeur a manqué à ses obligations de déclaration ; présence possible d'un interprète pendant les contrôles ; accès par l'ensemble des agents de contrôle à toutes les données issues des déclarations de détachement.

 

« On doit maintenant passer de la parole aux actes, et je crois que cette signature va dans ce sens », a conclu Patrick Liébus. Toutefois, il a émis un bémol. « Si on triple le chiffre d'affaires des auto-entrepreneurs, ce que l'on vient de signer ce jour ne servira strictement à rien ! Car ils seront utilisés par les grosses entreprises pour travailler en sous-traitance, ils seront maltraités de la même façon. Ils remplaceront les travailleurs étrangers détachés ! Je ne veux pas que cela arrive, je suis arc-bouté contre cette mesure. Quitte à descendre dans la rue », a-t-il prévenu.

 

Et l'Europe dans tout cela ?
Ce mardi, également, Myriam El Khomri et Manuel Valls recontraient la Commissaire européenne à l'emploi, Mme Thyssen, pour évoquer la manière d'agir sur le plan européen. Rappelons que la France milite pour une révision de la directive de 1996. En avance sur l'ensemble de ses voisins, avec la loi Savary, elle entend bien poursuivre son action et fera différentes demandes. D'abord « que la directive limite expressément la durée du détachement dans le temps ». Ensuite que soit interdits les détachements en cascade de salariés intérimaires. Et aussi que « la directive précise que le salarié doit, avant d'être détaché, avoir travaillé pendant au moins trois mois pour son employeur ».

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