AUDIT. Le ministère des Transports a présenté les résultats d'un rapport d'audit externe réalisé par Nibuxs et IMDM, deux bureaux d'études suisses, portant sur l'état du réseau routier français non-concédé. Bilan : sans changement de politique sur les infrastructures, plus de 60% des chaussées seront très dégradées d'ici 2037. Pierre Calvin, président de Routes de France, commente cette publication pour Batiactu.

A l'heure des départs en vacances estivales, la nouvelle n'est pas vraiment rassurante. Le ministère des Transports a publié les résultats d'un rapport d'audit externe commandé à deux bureaux d'études suisses indépendants, Nibuxs et IMDM, sur l'état du réseau routier national non-concédé, la mission étant placée sous la responsabilité de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). Cette étude avait pour raison d'être d'aider l'Etat à définir et à optimiser la stratégie d'entretien de ce réseau dans les 5, 10 et 20 ans à venir.

 

 

Alors, de quoi parle-t-on ici ? Les routes nationales non-concédées représentent 12.000 km d'infrastructures, mais seulement 1,2% du réseau routier global de la France. Malgré tout, ces routes assurent 18,5% du trafic journalier, soit un véhicule sur six qui circule sur leurs chaussées - en Ile-de-France, plus de 4 millions de personnes emprunteraient chaque jour ce type de routes. Et avec 140 milliards d'euros de valeur estimée, le réseau non-concédé constitue le premier patrimoine de l'Etat, qui l'entretient par le biais de ses 11 Directions interdépartementales des routes (DIR), des structures chargées de l'entretien, de l'exploitation et de l'ingénierie routière.

 

Vétusté généralisée et conditions climatiques éprouvantes

 

Une fois de plus dans ce dossier, l'audit mené par Nibuxs et IMDM tire la sonnette d'alarme. Confirmant la régression de la France dans le classement international des pays les mieux équipés en termes d'infrastructures de tous types, et particulièrement d'infrastructures routières, le rapport souligne que le réseau national non-concédé est confronté à un vieillissement généralisé, et par extension à une détérioration globale des chaussées et des ouvrages d'art. "Cet audit partage notre analyse et confirme notre mise en garde", affirme Pierre Calvin, président de Routes de France, à Batiactu. "Mais les enseignements de ce rapport sont malheureusement applicables à l'ensemble du réseau routier français. Les infrastructures comme les équipements de signalisation se dégradent. Les routes représentent un support important de l'activité économique d'un pays, et cela risque d'engendrer des problèmes de compétitivité."

 

En raison du trafic intense et des contraintes climatiques, plus de la moitié de ces routes présenteraient des dégradations sérieuses, exigeant des réparations. On estime à 2.040 km la longueur des chaussées gravement endommagées en métropole. Sur les 12.000 ponts que compte le réseau, un tiers aurait besoin d'être réparé. Et dans 7% de ces cas, les dommages seraient tels qu'ils pourraient déboucher sur un effondrement des ouvrages. Par ailleurs, les panneaux de signalisation routière ainsi que les réseaux d'assainissement afficheraient également une vétusté prononcée. "Pour les entreprises, le réseau d'infrastructures figure toujours parmi les trois premiers critères du choix d'implantation dans un pays", souligne Pierre Calvin.

 

Mais à quoi est due cette dégradation générale ? L'audit met en avant le rôle joué par les hivers rigoureux et les fortes intempéries, des facteurs climatiques qui impactent directement les couches superficielles des routes, et indirectement la structure des chaussées, par infiltration d'eau. Dans le détail, les réseaux des grandes agglomérations et les voies à caractéristiques autoroutières supportant des trafics de longue distance seraient les plus vulnérables, dans la mesure où ils enregistrent au quotidien des trafics de plus de 30.000 véhicules particuliers, ainsi que des circulations de poids lourds déjà conséquentes, et qui sont de surcroît en constante augmentation.

 

Le curatif coûte toujours plus cher que le préventif

 

Quel est le rôle de la puissance publique dans ce constat ? D'après Nibuxs et IMDM, l'Etat aurait consacré en moyenne 666 millions d'euros chaque année aux dépenses d'entretien et de gestion du réseau routier national non-concédé et ce, durant la dernière décennie. Une somme qui a pu varier d'une année à l'autre, mais qui a été globalement jugée insuffisante pour contrer une détérioration de l'ensemble de ces routes. Et pourtant, la France investit davantage dans ses infrastructures routières que les pays du Sud de l'Europe, mais cependant largement moins que les pays du Nord et de l'Est (Pays-Bas, Autriche, Suisse, Grande-Bretagne…).

 

Comme le rappelle l'audit, reprenant en fait la totalité des études portant sur le vieillissement des ouvrages d'art, il serait toujours bien plus économique - et prudent - d'effectuer un entretien régulier de ces derniers que d'attendre l'apparition des premiers désordres pour intervenir. En effet, sur la durée de vie d'un ouvrage, un traitement curatif (autrement dit des réparations de dommages structurels) coûte environ trois fois plus cher qu'une maintenance permanente. "La ministre des Transports Elisabeth Borne a annoncé le déblocage de 100 millions d'euros supplémentaires pour l'entretien du réseau national", poursuit Pierre Calvin. "C'est une bonne chose, le processus est certes enclenché, mais il reste encore beaucoup à faire. Et du côté des collectivités territoriales, les élus locaux déplorent un manque de moyens, qui les obligent à prioriser leur action vers d'autres domaines, comme le social, car ils ne peuvent pas intervenir sur tous les fronts."

 

Un problème d'argent… mais aussi de sécurité

 

Selon le ministère des Transports, il ressort donc de ce rapport d'audit qu'une politique d'entretien préventive des infrastructures routières est incontournable. Sur le plan de la méthodologie, les bureaux d'études auraient eu recours à des modèles et des simulations qui ont intégré deux priorités : d'une part, préserver la sécurité et éviter les dommages graves sur le réseau ; et d'autre part, maîtriser la disponibilité des infrastructures, particulièrement les sections "les plus sensibles en termes socio-économiques", c'est-à-dire les routes soumises à des trafics et à des connexions multimodales stratégiques.

 

 

Dans ces modèles, les auditeurs auraient pris en compte un certain nombre de risques physiques, financiers, environnementaux… pour établir des niveaux critiques et d'acceptabilité par les usagers. Mais dans tous les cas, il coule de source qu'un entretien sous-dimensionné engendrera à terme des coûts supplémentaires élevés, ainsi que des risques de sécurité pour les citoyens. "La France est tout de même l'un des leaders mondiaux de la route", insiste Pierre Calvin. "Nous possédons un savoir-faire indéniable dans la construction, l'exploitation et la maintenance des infrastructures routières. C'est pourquoi je pense que le problème est véritablement financier, et non technique."

 

Si rien n'est fait au niveau des politiques publiques, 62% des chaussées seront fortement dégradées à l'horizon de 2037 - elles étaient déjà 29% en 2017. De plus, 6% des ponts seront déclarés "hors service". L'étude conclut son propos en avançant ces chiffres : si l'Etat continuait à dépenser 666 millions d'euros en moyenne par an jusqu'en 2022, c'est une enveloppe de 1,3 milliard qu'il faudrait ensuite débloquer chaque année, et ce jusqu'en 2037, pour entretenir le réseau routier national non-concédé et le remettre… à son état actuel.

 

Existe-t-il d'autres solutions à envisager ? "L'entretien annuel des routes coûte 12 à 13 milliards d'euros, mais leurs recettes se chiffrent à 40 milliards chaque année", précise Pierre Calvin. "Cette somme part dans les caisses de l'Etat, mais elle n'est pas affectée à la maintenance des infrastructures... Faut-il alors passer à un système de vignettes pour les poids lourds ? Mettre en place des péages urbains ? Augmenter le nombre de concessions ? Les autoroutes concédées sont payantes, mais le péage permettant de financer l'entretien, elles sont en bien meilleur état que le réseau non-concédé."

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