APPEL D'ARTISANS. Plusieurs dirigeants de TPE du bâtiment, contactés par Batiactu, en appellent à l'État afin de faire repartir en partie, dans le respect du guide de l'OPPBTP, l'activité du bâtiment. Les administrations publiques sont ainsi invitées à montrer l'exemple pour éviter ce qui pourrait ressembler à une implosion du secteur au second semestre.

"L'État doit réveiller la maîtrise d'ouvrage publique, sinon l'administration va faire couler l'économie." C'est le cri d'alarme de Sandrine Ostorero, gérante de la société de désamiantage NSDP, sise en Haute-Vienne. "Les trois quarts des administrations publiques ne veulent pas bouger : elles ouvrent le parapluie", se désole-t-elle auprès de Batiactu. Une situation d'autant plus compliquée que des consultations pour de futurs marchés ont été interrompues, laissant de nombreuses entreprises sans idée de ce qu'elles feront comme chantiers dans les semaines, mais aussi dans les mois à venir. Ainsi, la parution du guide de l'OPPBTP, il y a tout juste une semaine, n'a pas permis de décoincer toutes les situations, les décideurs ayant la crainte de mettre leur responsabilité en jeu par rapport à un risque d'infection d'un compagnon au covid-19. Sandrine Ostorero en est d'autant plus frustrée qu'elle n'est pas en mesure de désamianter des bâtiments scolaires, pourtant vidés d'enfants et d'élèves.

 

La parution du guide de l'OPPBTP pas toujours ressentie sur le terrain

 

"Des maîtres d'ouvrage nous disaient qu'ils attendaient la parution du guide de l'OPPBTP pour repartir, mais ne bougent toujours pas. Des CSPS sont censés, au vu des circonstances, retoucher les plans généraux de coordination (PGC), mais ils ne bougent pas non plus. Les architectes, bien souvent, renvoient la balle au CSPS", regrette pour sa part la comptable de la SARL Martinet, spécialisée dans le second-œuvre et également basée en Haute-Vienne - l'une des zones les moins touchées, à présent, par le covid-19. Pourtant, il serait possible de faire repartir les opérations situées en zones inoccupées, assure-t-elle, en faisant intervenir les lots l'un après l'autre. Mais même certains organismes HLM ont décidé de tout bloquer dans des immeubles vides.

 

 

Une réouverture partielle en mode dégradé permettrait pourtant "d'éviter le chômage technique et de possibles reports des congés d'été pour les salariés". L'entreprise assure disposer de tous les équipements pour respecter les consignes de l'OPPBTP : gel, gants, masques, lunettes. Aucun doute pour la gérante de la société : si l'on veut que les entreprises survivent au mieux, l'État doit inciter les administrations publiques à reprendre les chantiers sans co-activité, en site non-occupé. "Sinon, qu'on nous dise que les chantiers sont clairement bloqués jusqu'en juillet, et nous mettrons tout le monde au chômage partiel." Après quoi il faudra annoncer aux équipes qu'ils n'auront probablement pas de vacances d'été... "Les architectes et les CSPS doivent rassurer les maîtres d'ouvrage sur certains chantiers qui n'entraînent aucun risque", renchérit Sandrine Ostorero.

 

En Haute-Vienne, un artisan du bâtiment sur deux a arrêté son activité

 

La Capeb de Haute-Vienne, contactée par Batiactu, se plaint par ailleurs de difficultés de communication avec les pouvoirs publics locaux, ce qui n'arrange rien. L'organisation patronale a réalisé une enquête auprès de TPE du bâtiment (sur 1.900 sollicitées, 158 ont répondu), dont les résultats montrent pourtant clairement la difficulté de la situation. Ainsi, une entreprise sur deux a arrêté son activité ; et 66,6% de celles qui ont poursuivi leur activité l'ont fait en divisant par deux, au moins, la voilure.

 

Enfin, environ 75% des entreprises ont plus de 40% de chantiers reportés, d'après l'étude de la Capeb. Ce qui laisse imaginer un trou d'activité dans les mois à venir. "Ce qui sera compliqué c'est de récupérer des chantiers sur la période juillet-septembre", confirme à Batiactu Édith Serralheiro, dirigeante de la société "Quand les filles s'en mêlent", spécialisée dans le béton ciré (basée dans le Val-d'Oise). Le décalage des chantiers présents va en effet distendre la capacité d'intervention dans le temps des entreprises. "Et si l'on dit à un client particulier qu'on ne pourra intervenir qu'en novembre prochain, il ira peut-être voir ailleurs." La société, bien gérée, a pour l'instant les moyens de jouer le jeu et payer ses prestataires, même si la fourniture de béton ciré a été stoppée, paralysant de fait l'activité. "Nous pourrons repartir, si toutefois les gens sont testés au covid-19 sur les chantiers et si nous intervenons en lots séparés", assure Édith Serralheiro. "Nous sommes prêts, nous avons de notre côté adapté nos PPSPS cette semaine."

 

Les dépannages d'urgence, mystérieusement au point mort

 

Qu'en est-il pour le dépannage d'urgence, l'une des seules activités à ne pas avoir été stoppées depuis le confinement ? D'après Jean-Claude Rancurel, de la SARL de plomberie-chauffage éponyme située dans le Vaucluse, le téléphone sonne beaucoup moins souvent, y compris pour les dépannages d'urgence. Sans qu'il ne sache l'expliquer. "Fuites d'eau, chaudière qui lâche... C'est traditionnellement une grosse activité, mais là, plus rien", regrette-t-il. Par chance, sa société est actuellement occupée pour une vingtaine de jours sur un chantier où les conditions de travail permettent de respecter les règles sanitaires. "Nous travaillons en sécurité maximale", explique-t-il à Batiactu. Mais la prise de devis est très ralentie. "D'habitude, j'obtiens des validations en trois, quatre jours, là, après quinze envois, je n'ai pas de retour. Les clients sont attentistes."

 

"J'ai la chance inouïe d'avoir, par hasard, en cette période, tous mes chantiers en cours"

 

Pour d'autres artisans, par un coup de chance bienvenu, la situation semble plus récupérable. C'est ainsi le cas pour Pascal Coulaud, gérant de la société Casem (peinture, Corrèze). "J'ai la chance inouïe d'avoir, par hasard, en cette période, tous mes chantiers en cours", se réjouit-il auprès de Batiactu. Des interventions qui peuvent se faire sans contact avec le propriétaire, dans le cadre de réhabilitations d'immeubles de plusieurs étages. "Nous mettons un corps d'état par étage, et nous redoublons d'efforts au niveau des conditions de travail : masques, désinfection des outils..." Les approvisionnements sont ralentis du fait de l'installation de service 'drive' au sein des négoces. "Cela prend un peu plus de temps." Pour autant, tout est loin d'être rose, car "le gros problème va être financier", observe-t-il. Celui de rattraper le temps perdu et le chiffre d'affaires qui n'est pas rentré.

 

Bien sûr, les artisans utilisent les aides mises en œuvre par l'État, notamment les prêts de trésoreries garantis, le report des charges, l'accès au chômage partiel - le fonds de solidarité étant réservé aux plus petites structures réalisant un bénéfice inférieur à 60.000 euros. Pour autant, ces mesures, indispensables, ne règleront peut-être pas partout le problème de fond. "Faut-il maintenir ma société sous respiration artificielle en cette période grâce aux aides, pour que dans six mois elles soit dans une situation financière intenable avec davantage de charges à payer et des intérêts d'emprunts ?...", se demande, inquiet, un artisan.

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