ÎLE-DE-FRANCE. Avec plusieurs millions de mètres carrés d'espaces tertiaires vides, la région francilienne s'interroge sur l'opportunité de transformer ces immeubles de bureaux inutilisés en logements tant recherchés. Anne-Claire Davy, de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d'Île-de-France, fait des révélations instructives sur le sujet.

Dans le cadre du projet de loi Elan, le gouvernement cherche à créer un choc de l'offre de logements, notamment en facilitant la transformation de bâtiments tertiaires en immeubles d'habitation. Et la situation de la région Île-de-France semble particulièrement propice à cette évolution puisqu'elle concentre plus de 54 millions de m² d'espaces de bureaux dont plus de 4,5 millions sont vacants. Un rapide calcul théorique permet d'estimer qu'à raison de 75 m² par appartement, ce seraient 60.000 logements nouveaux qui pourraient être créés. Mais la situation est en réalité plus complexe, comme l'analyse Anne-Claire Davy, de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme (IAU) francilien.

 

Un taux de vacance de 6% seulement

 

Le gisement réellement mobilisable serait en fait bien plus réduit. Elle note : "Tout d'abord, 25% de l'offre disponible est constituée de surfaces dites de première main, c'est-à-dire neuve ou restructurée. Leur changement d'usage semble prématuré et peu pertinent dans un contexte où la demande de bureaux est forte pour ces produits neufs." Deuxième remarque, le dispositif facilitateur du projet de loi Elan concerne des immeubles entiers. Or, comme le souligne l'experte, une très grande partie de l'offre disponible repose sur des plateaux au sein de bâtiments occupés, ce qui rend la transformation impossible, à moins d'évacuer les locataires des autres étages pour modifier l'ensemble de l'édifice. Une possibilité qui a peu de crédibilité d'autant que, contrairement au sentiment général, l'offre de bureaux n'est pas surabondante en Île-de-France puisque le taux de vacance n'est que de 6% en moyenne et qu'il est en baisse. Il n'est même que de 2,5% dans Paris intramuros, zone la plus tendue en termes de demande de logements.

 

En petite et moyenne couronne, plutôt au sud et à l'est de la capitale

 

Ce gisement se concentre plutôt dans d'autres zones plus lointaines, au-delà de la Défense, vers l'ouest et le nord-ouest franciliens. Mais, là encore, le salut ne résidera pas dans la mutation d'espaces de bureaux d'ancienne génération : "Paradoxalement, la demande des entreprises est soutenue pour ces territoires, et le niveau de construction de bureaux élevé. Dans les années à venir, miser sur la rénovation du parc ancien pour développer le marché des bureaux neufs pourrait se révéler plus attractif que sa transformation en logements." Les zones situées autour de Paris, en dehors des Hauts-de-Seine, renferment donc plus de potentiel, en raison d'une vacance structurelle plus forte qui inciterait les propriétaires de bâtiments tertiaires à y faire des modifications. Mais l'opportunité de transformation d'un bâtiment tertiaire en logements dépendra de la pertinence économique de l'opération. Anne-Claire Davy signale : "La majorité des opérations de conversion actuellement menées sont le fait de promoteurs privés qui interviennent dans le but de revendre des logements à des particuliers (accession ou investissement locatif) ou bien à des investisseurs en résidences jeunes ou seniors." Une raison technique pousse également vers ce type de transformation : il est plus aisé de créer de multiples petites unités au sein d'un plateau tertiaire que de grands appartements familiaux.

 

"L'essentiel du parc structurellement vacant se situe au-delà des marchés résidentiels les plus tendus"

 

Ce qui pose d'autres questions, notamment en termes d'urbanisme. Les quartiers où sont implantés les immeubles de bureaux sont souvent excentrés et ne présentent pas de services de la vie quotidienne, ce que l'analyste nomme un "manque d'aménités urbaines". La transformation en logements doit donc être considérée plus largement qu'à l'échelle du bâtiment seul, avec un projet territorial qui garantira son succès économique par un soutien indirect. Seules les zones attractives et bien desservies pourront attirer des habitants. Anne-Claire Davy conclut : "La loi Elan devrait permettre de diversifier les gisements fonciers pour le logement en facilitant les conversions de bureaux en zone centrale. Ces opérations offrent alors des opportunités précieuses de diversification du parc de logement, notamment pour répondre aux objectifs de la loi SRU. Mais il ne faut pas se méprendre sur ce potentiel, car l'essentiel du parc structurellement vacant se situe au-delà des marchés résidentiels les plus tendus, là où les opérations demeureront déficitaires sans mobilisation locale des acteurs publics et politiques." La balle est maintenant dans le camp des élus franciliens.

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