ANALYSE. Le rapport Lecocq sur la santé au travail envisage de créer une superstructure étatique, en forme de guichet unique, qui chapeauterait plusieurs entités parmi lesquelles l'Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP). Une évolution qui pourrait remettre en cause l'autonomie et la spécificité de cet acteur incontournable de la prévention dans la branche.

Rassembler les acteurs de la santé au travail, dont l'Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP), au sein d'une "entité unique de prévention" : c'est la principale proposition formulée par le rapport Lecocq, du nom de la députée du Nord Charlotte Lecocq (LREM). Ce travail, qui vise à réorganiser le monde de la santé au travail, vient d'être remis au Premier ministre. Cette superstructure viendrait unifier trois organismes, à savoir l'Institut de recherche et de sécurité (INRS), l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et l'OPPBTP. Le rapport reste relativement flou sur les conséquences concrètes d'une telle éventualité. L'OPPBTP existerait-il toujours, et si oui sous quelle forme et avec quelle autonomie ? Le rapport assure en tout cas que "la nouvelle organisation, en clarifiant les missions de chacun dans un cadre unique, en renforçant les collectifs d'expertise, en les dotant de moyens fléchés et portés par des orientations stratégiques prioritaires, doit être une opportunité pour les professionnels (préventeurs, médecins...) de trouver plus de sens et d'efficacité collective, sans perdre leur identité".

 

Rendre plus lisible et efficace l'offre aux entreprises

 

En région, le relais de cette nouvelle structure serait opéré par des agences régionales de prévention qui regrouperaient les services de santé au travail, les compétences des associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), les agents des Carsat et les agences régionales de l'OPPBTP. Objectif : rendre plus lisible et plus efficace l'offre aux entreprises liée à la santé au travail, avec un guichet unique.

 

 

"Les pouvoirs publics ne toucheront pas à l'OPPBTP"

 

Une proposition qui va sans doute faire réagir les partenaires sociaux du secteur de la construction, qui opèrent la gouvernance de l'OPPBTP. Patrick Liébus, président de la Capeb, contacté par Batiactu, se veut pour sa part rassurant. "J'ai échangé à ce sujet avec le Premier ministre et les ministres du Travail et de la Santé. Je leur ai dit que nous étions attachés à l'OPPBTP. Les pouvoirs publics m'ont affirmé qu'ils n'y toucheraient pas. Pour moi, c'est un organisme qui devrait plutôt être cité en exemple. Nous cotisons d'ailleurs à hauteur de 0,11% de nos rémunérations versées pour son fonctionnement. Cet organisme nous aide à progresser en prévention. Une chose est sûre : nous refuserons de payer ces 0,11% s'ils allaient dans les comptes d'une superstructure étatique."

 

Pour le président des artisans du bâtiment, s'il faut effectivement mieux rationaliser et coordonner les services de santé au travail, il ne devrait pas être question de toucher aux prérogatives d'un organisme bien ancré comme l'OPPBTP. "Je n'aurais pas forcément défendu cette organisation de cette manière il y a vingt ans. Mais depuis il y a eu un gros travail de fait, en mettant une priorité sur la prévention." Et moins sur le contrôle et la sanction.

 

Un guichet unique qui "jouera le rôle de gare de triage"

 

D'autres spécialistes du domaine de de la santé sécurité, comme l'avocat Michel Ledoux, soulignent l'importance du rôle de l'OPPBTP. "Il faut maintenir l'autonomie de l'OPPBTP, qui est pour moi l'équivalent de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour le BTP", explique-t-il à Batiactu. "De ce que j'ai compris, il n'est d'ailleurs pas question de supprimer les organismes concernés comme l'OPPBTP, mais d'instaurer un guichet unique qui jouera le rôle de gare de triage. L'idée étant d'orienter chaque professionnel vers les experts les plus compétents. Pour donner un exemple, je trouverais logique qu'un chef d'entreprise du BTP soit dirigé vers l'OPPBTP plutôt que vers l'INRS. Car ces deux organismes, très compétents, n'apportent pas forcément les mêmes réponses à une même interrogation." Toutefois, l'avocat pointe deux risques. "Qui récupèrera l'argent des cotisations et comment cet argent sera-t-il réparti ? Et est-ce que cette nouvelle organisation na va pas faire perdre de l'agilité au système ?"

 

Pour le Gouvernement, "le système actuel est source d'inefficacités"

 

Pour rappel, ce rapport avait été commandé par le Premier ministre pour faire évoluer ce domaine en crise. "En large partie du fait d'une construction par strates successives, le système actuel est source d'inefficacités", affirme un communiqué de presse envoyé par Matignon fin août. "Il génère des doublons, des interférences et nécessite une coordination très consommatrice de ressources, notamment en temps, de cette multiplicité d'acteurs. Sur les territoires, pour les entreprises et leurs salariés, en particulier dans les TPE et PME, l'offre de service de ce système n'est pas lisible." Le contenu du rapport fera l'objet de "réunions bilatérales avec les partenaires sociaux en vue de l'élaboration d'un programme de travail en matière sociale".

actionclactionfp