DEBAT. La qualité architecturale est-elle une mission d'intérêt public ? Comment cela se traduit-il dans le travail concret d'un maire ? Des questions auxquelles ont répondu deux élus franciliens - Stéphane Gatignon (ancien maire de Sevran) et Régis Charbonnier (maire de Boissy-Saint-Léger) - lors d'une table ronde organisée par l'Ordre des architectes d'Île-de-France et les CAUE de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

Depuis plusieurs mois, les architectes dénoncent avec force la loi ELAN qui, selon eux, menace leur rôle dans le maintien de la qualité architecturale. Ce jeudi 14 juin 2018, l'Ordre des architectes d'Île-de-France et les CAUE de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne ont organisé une matinée de débats sur les enjeux de l'urbanisme et les possibilités offertes aux maires pour y répondre. Deux élus franciliens, Régis Charbonnier, maire de Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne) et Stéphane Gatignon, ex-maire de Sevran (Seine-Saint-Denis), ont livré leur sentiment sur le sujet.

 

Les maires et le pastiche haussmannien

 

Pour l'édile de Boissy-Saint-Léger, verdoyante commune de 16.000 habitants, "l'architecture fait grandir". Pour lui, "c'est un moyen pour changer la représentation des quartiers", et il souhaite qu'elle soit moderne et orientée vers l'avenir, avec un geste architectural fort. "Je milite pour faire du beau partout". De son côté, celui qui a été le maire des 50.000 administrés de Sevran pendant 17 ans, renchérit : "Avant l'architecture il y a l'urbanisme. Le travail qui consiste à restructurer la ville est le plus beau des mandats, le plus complexe aussi". Il insiste sur le besoin de retisser des liens et de gérer les transitions urbaines, pour reconstruire les territoires : "Une démarche ambitieuse nécessite une vision, de penser la densité, de créer des formes d'identités nouvelles". Sur l'esthétique même des bâtiments, Stéphane Gatignon ironise sur les communes qui réclament du "pastiche haussmannien" : "Pourquoi plagier des trucs qui ont 150 ans et penser que cela va marcher aujourd'hui ? Il faut rompre avec ce plagiat ou le genre Walt Disney, qui est terrible, et avoir une identité propre". Fabien Gantois, le vice-président de l'Ordre des architectes d'Île-de-France y voit, pour sa part, "l'expression d'un manque d'inspiration" et il invite ses collègues à "concevoir des logements autrement".

 

Justement, sur le logement, les deux élus insistent sur leur qualité d'usage, qu'ils jugent fondamentale. Régis Charbonnier lance même un "cri d'alerte aux promoteurs" par rapport aux surfaces habitables, devenues trop petites et aux espaces communs, mal agencés. Un sentiment partagé par l'ex-maire de Sevran : "L'exigence de vie pour les occupants, c'est la base. La question des matériaux est essentielle et il faut se demander comment le bâtiment va vieillir". Il y voit une forme de respect et de reconnaissance des populations. Stéphane Gatignon note : "L'important est de discuter avec l'architecte, et en tant que maire, de faire remonter une vision globale. Il n'y a pas de dynamique sociale sans espoir. Les gens veulent au moins vivre dignement et être fiers de là où ils habitent". Et lui aussi assure que "le beau appartient à tout le monde".

 

Faire adhérer les populations aux projets

 

 

Mais le cadre de vie dépasse le cadre de la seule architecture, en touchant à l'urbanisme et aux territoires. Le vice-président de l'Ordre souligne : "L'architecte est un acteur essentiel mais ce n'est pas le seul dans l'écosystème de la production qui comprend le maître d'œuvre, le bailleur, les pouvoirs publics… L'architecture ne se limite pas à l'image, au geste architectural, mais à des choix importants". Il déplore que le rôle des maîtres d'œuvre se limite parfois à celui de façadistes et estime que l'appui des maires est essentiel pour que les architectes puissent jouer pleinement leur rôle. Sur le rôle du concours, Fabien Gantois explique que d'autres procédures démocratiques pourraient être mises en place, tant qu'elles empêchent de construire n'importe quoi. Le maire de Boissy-Saint-Léger, de son côté, fait valoir qu'il est important de s'appuyer sur les règles d'urbanismes, PLU et CAUE, et que "les discussions tirent vers le haut, enrichissent et embellissent les projets". Pour lui, les élus ont un véritable rôle à jouer en intervenant dans les choix des programmes, tandis que pour Stéphane Gatignon qui a dirigé Sevran pendant longtemps, c'est le suivi des projets qui est important, afin que les finitions et mises en œuvre ne dénaturent pas l'intention initiale. Y associer les populations locales est également un gage de réussite, si leurs remarques sont prises en compte, seul moyen qu'ils adhèrent au projet sans se sentir contraints.

 

Les architectes s'interrogent, pour leur part, sur l'éventuelle formation - ou sensibilisation - des élus aux questions architecturales. L'édile de Boissy-Saint-Léger répond : "Nous n'avons pas le temps mais les enjeux sont tellement importants qu'il faut le prendre. Cela nécessite de travailler, de s'astreindre à regarder des plans". Celui de Sevran estime important d'imposer, en tant qu'élu, "de nouveaux procédés constructifs, de nouveaux matériaux comme le bois ou la terre crue". Et lui aussi assure qu'il faut travailler, échanger et participer à des jurys pour mieux appréhender la chose. Fabien Gantois conclut : "Les architectes sont porteurs d'innovation, qu'il s'agisse d'éco-matériaux, d'îlots de chaleur. Les éléments imposés de façon politique passent par la concertation et la signature de chartes par les promoteurs privés". Les deux élus louent les efforts des bailleurs sociaux, moins portés par une logique purement financière et davantage mus par une volonté de durabilité des bâtiments. Ils notent même que, paradoxalement, le parc social devient plus esthétique que le parc en promotion privée… Une tendance qui fait dire au vice-président de l'ordre : "En temps de disette, le pain noir est bon à manger", signifiant qu'en zone hypertendue comme l'Île-de-France, tous les biens immobiliers trouveront preneur, avec ou sans qualité architecturale…

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