RÉACTION. La proposition de l'administration pour les seuils de la RE2020 vient de tomber. Les professionnels du bois avaient proposé des niveaux nettement plus exigeants, mais ils se disent malgré tout satisfaits des annonces. Quant aux constructeurs, ils regrettent une approche mono-matériau et mono-énergie.

L'un des seuils les plus attendus par les professionnels, concernant la RE2020, était celui fixant l'exigence en termes de poids carbone des matériaux et produits de construction. Celui-ci a été communiqué il y a quelques jours aux acteurs : il serait, entre 2021 et 2023, à 630 kg équivalent CO2/m² en individuel (700 en collectif) ; puis à 510 à partir de 2024 (610 en collectif) ; 450 en 2029 (540 en collectif) et enfin 370 en 2030 (450 en collectif). L'Union des industriels de la construction bois (UICB) avait demandé des niveaux nettement plus exigeants, dès juillet 2021, à 400 kgC02/m² en collectif et 350 en maison. "Nous visions déjà, pour 2021, l'objectif que l'État a fixé pour 2030", résume Dominique Cottineau, délégué général de l'UICB, contacté par Batiactu. "Nous sommes donc en phase avec l'objectif final, et nous acceptons l'idée de progression des seuils, ce qui permettra à chaque filière de s'adapter au fur et à mesure."


La progressivité des seuils sera-t-elle appliquée ?

 

Le principe de progressivité pose toutefois la question de savoir si ces seuils seront réellement appliqués en 2024, 2027, puis 2030. De l'eau aura coulé sous les ponts, des gouvernements se succèderont... Mais l'UICB ne semble pas particulièrement inquiète. "Bien sûr, nous n'avons pas de boule de cristal", note Dominique Cottineau. "Mais il faut bien voir que les attentes des Français sont fortes par rapport à la stratégie nationale bas carbone 2050, ils sont conscients du fait qu'il y a urgence climatique. Les politiques enverraient un très mauvais signe s'ils décidaient, dans les années à venir, de rétropédaler."

 

 

Les acteurs de la construction bois, conscients du fait qu'ils sont favorisés par les décisions gouvernementales, se placent quoi qu'il en soit en position d'ouverture par rapport aux autres filières. "Nous voulons accompagner ceux qui ne sont pas rompus aux techniques du bois, à son intégration plus massive dans une visée de mixité des matériaux."

 

Entreprises et artisans du bâtiment s'inquiètent d'une RE2020 qui pourrait réduire le champ des possibles pour les maîtres d'ouvrage


La Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), vient de regretter par communiqué de presse les annonces "brutales" effectuées par le Gouvernement. Déplorant le fait que la "construction pierre" soit écartée, l'organisation considère que les maîtres d'ouvrage se voient retirer "toute liberté" de choisir les solutions techniques qui conviendraient le mieux, potentiellement "issues de production locale". La Capeb militerait plutôt pour l'installation d'équipements hybrides (Pac + chaudière gaz THPE), ayant recours à l'électricité et au gaz selon les cas : "En période douce, c'est la pompe à chaleur qui fonctionne tandis qu'en période plus froide, la chaudière gaz prend le relais pour satisfaire aux besoins." Des solutions qui sont, d'après le communiqué de presse, exclues en maison individuelle dès 2021.

"La brutalité de ce calendrier va mettre à mal plusieurs filières"

 

"Nous demandons en urgence des études d'impacts économique et technique approfondies qui justifieraient les surcoûts de construction engendrés et permettraient de comprendre les choix gouvernementaux !", demande dans la foulée Jean-Christophe Repon, président de la Capeb. "La brutalité de ce calendrier va mettre à mal plusieurs filières, ne laissant que très peu de possibilité d'adaptation à celles-ci pour faire face à ces mutations." Sans parler d'éventuelles conséquences en termes d'impact économiques et sur l'emploi.

 

Le Pôle habitat (FFB), qui vient de consacrer un webinaire à la RE2020 - voir la vidéo au bas de cet article -, regrette de son côté la focalisation des discussions vers une seule forme d'énergie (l'électricité) ou un seul matériau (le bois). "Si l'on se dirige, commercialement et économiquement, vers du mono-technologie, alors nous n'irons pas dans le bons sens", explique Julien Serri, délégué national aux affaires techniques, contacté par Batiactu. Cela représenterait également un risque significatif pour certaines filières qui se verraient délaissées. Pour lui, il faudrait plutôt "remettre le confort de l'occupant au cœur du débat", en traitant notamment en priorité les questions de qualité de l'air, renforcement de l'isolation et confort d'été. Toutefois, un Bbio à -30%, comme proposé par l'administration, lui paraît démesuré. "Le jeu n'en vaut pas la chandelle, -20% aurait suffit, selon nous. A -30%, cela nécessite une rupture technique dans la conception."

 

"De nombreuses recherches sont en cours sur le béton bas carbone"

 

L'association Bâtiment bas carbone (BBCA) milite depuis plusieurs années pour la montée en puissance de la construction environnementale dans le bâti. En toute logique, elle se dit plutôt satisfaite par les annonces gouvernementales. Pour son président, Stanislas Pottier, contacté par Batiactu, elles constituent d'ailleurs tout sauf une surprise, et ouvrent la voie à davantage de mixité des matériaux. "Dans notre manuel de construction bas carbone, paru en juillet 2020, nous retrouvons beaucoup de techniques mixtes, comprenant bien sûr des matériaux biosourcés et des matériaux recyclés", remarque-t-il. "De nombreuses recherches sont en cours sur le béton bas carbone, il n'existe donc aucun esprit de ségrégation à l'encontre d'un mode constructif ou d'un autre. L'association BBCA n'a jamais poussé un matériau par rapport à un autre, même s'il se trouve que le bois a des atouts indéniables par rapport au sujet du climat." Quant à la question du vecteur énergétique, et la prime donnée à l'électricité dans la RE2020, elle irait dans le sens de la décarbonation.

 

Des surcoûts "indéniables" qui seraient à relativiser

 

Dans l'immédiat, l'obligation de réaliser une analyse du cycle de vie dès 2021, même si les seuils exigés en matière de poids carbone matériaux seront relativement indulgents ans un premier temps (2021-2023), satisfait également BBCA. "Nous aurons une meilleure connaissance des bilans carbone des bâtiments, profitons de cette première période pour embarquer tout le monde." La base Inies devra également profiter de cette dynamique, et faire de l'empreinte carbone des matériaux "un élément de compétitivité". Quant aux éventuels surcoûts, BBCA les considère "indéniables" par rapport à l'utilisation des biosourcés. Mais il faudrait aussi tenir compte des avantages d'un mode constructif en filière sèche, comme le fait qu'en général les chantiers sont plus rapides. Par ailleurs, à mesure qu'un grand nombre d'acteurs s'engagerait dans la dynamique, les coûts de construction baisseraient de plus en plus rapidement. "Il faut aussi évoquer un enjeu de souveraineté", ajoute Stanislas Pottier. "Il y a des matériaux biosourcés qui viennent majoritairement de l'étranger. Ces filières, nous pourrions tout à fait les structurer en France. Les pouvoirs publics doivent les encourager, avec des créations d'emplois à la clé."

 

Pour autant, BBCA reste insatisfaite par plusieurs points de la RE2020 telle qu'actuellement connue. Ainsi, la méthode de calcul de performance des matériaux en confort d'été favoriserait trop le principe d'inertie, et donc le béton ; et la prise en compte du "poids carbone de la démolition" devrait aussi être comptabilisé. Autre avancée demandée : "Une certification fiable de l'empreinte carbone des produits et équipements utilisés dans l'ACV bâtiment qui puisse garantir la pertinence des scénarios retenus (à l'instar de la certification des isolants via la marque Acermi)".

 

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