DÉBATS. Réunis en atelier, plusieurs professionnels de l'isolation thermique par l'extérieur (ITE) ont débattu sur les moyens de lutter contre les méfaits des prix bas, dans un souci de qualité et de sécurité des installations.

"Dans l'ITE, c'est le 'black friday' tous les jours !" C'est le regret d'un dirigeant d'entreprise d'isolation thermique par l'extérieur (ITE). Il s'exprimait ainsi lors d'ateliers organisés par le groupement des professionnels de l'ITE (Gite), dans les locaux parisiens de la Fédération française du bâtiment (FFB), ce 28 novembre 2019. Le marché de l'isolation thermique par l'extérieur est en effet, de l'avis des acteurs, confronté au fléau du moins-disant. Ce qui n'est pas sans conséquence sur la qualité des travaux, assurent-ils.

 

Risque de faire "pourrir" le bâtiment

 

Entreprises et industriels étaient invités à partager leur vision. "Aujourd'hui, en matière d'ITE, tout le monde pose n'importe quel produit n'importe où", résume un entrepreneur présent. "Cela nous place dans des situations absurdes. Certains de nos concurrents vont par exemple proposer de poser un isolant polystyrène sur une paroi en pierre, alors même qu'on sait que ce n'est pas un bon choix technique : cela risque de faire 'pourrir' le bâtiment. Mais comme c'est moins cher, il va emporter le marché..." L'entreprise se voit ainsi incitée à adopter elle aussi une mauvaise posture pour garnir son carnet de commandes et continuer à exister.

 

 

Face à cette situation, quels leviers d'actions proposer ? Si certains appellent à la rédaction de guides de bonnes pratiques rappelant les règles de base (par exemple, 'quel matériau poser sur quel support'), d'autres regrettent l'absence des contrôleurs techniques sur les chantiers. "Ils ne viennent jamais", assure le patron d'une grosse PME spécialisée dans l'enveloppe. "Pourtant, sur les chantiers il se fait n'importe quoi. En l'absence de contrôles, le maître d'ouvrage n'est donc plus assuré que les travaux ont été faits dans les règles de l'art."

 

L'absence critiquée des bureaux de contrôle sur les chantiers

 

Un autre dirigeant assure même que certains bureaux de contrôle "nous demandent à nous, entreprise, d'attester que nous avons bien travaillé", dans une étrange inversion des rôles... Ceci est peut-être explicable par la diminution drastique des taux d'honoraires de ces professions, du fait de la concurrence "hallucinante" qu'ils se font les uns par rapport aux autres, tente d'expliquer un intervenant bien informé. "Ils n'ont plus les moyens d'envoyer quelqu'un sur le chantier", assure-t-il, "ils ont à peine les moyens de rédiger les rapports initiaux et finaux".

 

Quid du CITE pour l'ITE ?
De quelle manière évolueront les aides aux particuliers effectuant des travaux d'isolation thermique par l'extérieur (ITE) ? C'est l'une des questions que se posent les entreprises de la filière. "Le Gouvernement veut baisser les aides pour les ménages aisés, mais que va devenir sa filière s'il va au bout ?", s'inquiète un chef d'entreprise. "Nous avons mis des années à gagner de l'argent en pratiquant l'ITE. Et il faut bien en gagner pour faire vivre une entreprise..."

 

Trois mois de préparation pour un chantier d'ITE

 

La formation est une autre possibilité, puisque "plus on acceptera de se former, plus on fera du travail de qualité". En pensant bien à ce que tous les compagnons montent en compétences. "Il arrive que les chefs de chantier soient formés, mais le passage de témoin avec les opérateurs ne se fait pas toujours, il faut vraiment former jusqu'à la base", observe un architecte présent.

 

Également, adopter l'approche globale de chaque chantier semble indispensable aux entreprises du Gite. "Nous devons nous soucier des interfaces, notamment avec le menuisier", explique un entrepreneur. "Mais aussi avoir une phase préparatoire avant chaque intervention, avec l'exécutant, le bureau de contrôle, qu'il y ait un fil rouge et que chaque acteur ait une bonne connaissance du dossier. Lorsqu'il y a un problème à la réception, on s'aperçoit qu'il avait bien été identifié, très tôt, mais qu'on avait laissé faire par manque de suivi..." La durée de cette phase préparatoire devrait être de trois mois au moins, assure un gérant, estimant qu'un mois n'est pas assez long.

 

Une telle gestion des chantiers est compliquée sur les plus petites opérations, quand il n'y a pas de maîtrise d'œuvre ou de bureau de contrôle, mais uniquement un maître d'ouvrage (dans certains cas un particulier) et une entreprise. D'où la proposition d'un architecte présent de rendre obligatoire un audit en amont des travaux, réalisé par la maîtrise d'œuvre, permettant d'avoir un regard général sur les opérations et analyser les risques en amont.

 

Comme remèdes envisagés par la filière : mieux faire connaître les formations qui existent et sont dispensées sur les territoires et espérer un renforcement du label Reconnu garant de l'environnement. Une sensibilisation accrue des maîtres d'ouvrage à la qualité des travaux et aux règles de l'art serait également souhaitable, pour ne pas que le seul critère financier soit pris en compte dans le choix des offres. "Cela dit, la question du prix n'explique pas tout : les chirurgiens les plus chers ne sont pas forcément les meilleurs", glisse un spécialiste des questions de sécurité dans le bâtiment...

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