Batiactu ? En quoi est-ce une conception sophistiquée ?
Mariusz Rutz :
Nous pourrions imaginer dès la première visite qu'il s'agit d'une construction très simple... Il n'en est rien ! Par exemple, l'opération de levage des cordes a été un moment périlleux. Des supports hydrauliques accrochés à chaque poteau ont ainsi soulevé les cordes d'acier. Toute la capitale a retenu son souffle ce jour-là : l'opération qui a duré deux semaines était supervisée par une entreprise suisse. De plus, elle a été analysée dans les moins détails. Nous avions même prévu des simulations décryptées seconde par seconde pour nous assurer que les cordes allaient bien être posées.

 

Batiactu ? Pourquoi ce stade ultramoderne sur l'ancien stade historique de la ville ?
Mariusz Rutz :
Bien que l'ancien stade soit dessous, nous avons voulu mettre le nouveau sur l'ancien en gardant quelques concepts en pierre autour du stade. Nous voulions voir émerger une enceinte moderne légère sur ce lieu historique, monumental.

 

Batiactu : Justement, quelle est l'histoire du lieu où est implantée aujourd'hui le Stade national de Varsovie ?
Mariusz Rutz :
« Pour rappel, ce site est chargé d'histoires. Il avait été en partie construit en utilisant les décombres recueillis sur le site de l'Insurrection de Varsovie, en 1955. Au sud de l'ovale rouge et blanc du stade, là où notre visite débute, se dresse, tel un corps étranger la statue de trois athlètes. Leurs visages anguleux et décidés sont tournés en direction de l'ouest : « On les appelle Les Fugitifs de l'Est aux pieds nus ». Jusqu'au début du chantier, en 2008, la statue décorait l'entrée sud du « Stade du 10ème anniversaire du Manifeste de Juillet (Ndlr : Stadion Dziesięciolecia)», qui a été érigé peu après la Seconde Guerre mondiale sur les ruines d'une Varsovie dévastée. 'C'était en fait la pierre tombale du cimetière qu'était la ville', disent souvent les habitants du quartier.

 

Dans les années 1980, tout comme le système politique, l'état du gros œuvre du stade aux lignes monumentalistes, qui était sorti de terre sur la rive de la Vistule en l'espace de onze mois, commença à se dégrader. Ainsi, la construction présentait des défauts d'ordre pratique: du fait de la longueur du trajet entre les vestiaires et le terrain, la durée de la mi-temps des matches de football devait être doublée. Il n'y avait pas d'éclairage artificiel : 'Des voitures, avec leurs phares allumés, étaient garées tout autour de la piste', racontent égalent les habitants.

 

Un groupe de porteurs de projets polonais qui voulait, eu égard à son histoire et son architecture, classer le stade monument historique a rencontré tout aussi peu de succès. Et au lendemain de la nomination de la Pologne et de l'Ukraine comme pays d'accueil de la Coupe d'Europe de foot, il a été décidé de bâtir un nouveau stade sur les fondations de la ruine. »

 

Batiactu : L'accessibilité par le biais d'escalateurs est également l'élément moteur de la modernité de cette enceinte de huit niveaux ?
Mariusz Rutz :
Ce n'est pas nouveau, le stade de Wembley fait partie des premiers à se doter d'escalateurs à l'intérieur du stade. C'est une arène multifonctionnelle : l'Euro c'est très beau mais il faut penser à l'après tournoi car il n'y aura pas seulement, ici, des matches de football. Il fallait penser à faire vivre le stade. Et comme le propriétaire veut faire gagner de l'argent, il y a toutes les possibilités : le concert de Madonna le 1er août prochain en est le parfait exemple. Et pour tout vous dire : On ne met pas 480 M € pour seulement regarder des matches de football…

 

Batiactu : Parmi les obstacles rencontrés, pouvez-vous nous rappeler cet épisode fâcheux de la conception des escaliers qui ont ralentit la date de livraison de l'enceinte ?
Mariusz Rutz :
Les grands escaliers en cascade qui vont de 'l'Allée de la Promenade basse' à 'l'Allée de la Promenade Haute' ont fait l'objet effectivement de polémiques dans l'étape de la conception. Dans notre projet, cet escalier conçu en béton armé devait être fabriqué sur place. Par contre, le maître d'ouvrage nous a proposé de réaliser différemment : monter l'escalier sur place par le biais d'éléments préfabriqués. La raison concernait la logistique et le temps imparti. Nous avons alors accepté cet avis à condition que la société mandatée opère bien le montage.

 

La technique ? Elle consistait à lier des éléments préfabriqués avec du béton liquide. Il y avait donc des liaisons que l'on couvrait de béton liquide. C'était un béton Sika résistant. Lors de l'opération réalisée en novembre 2010, nous avons observé des fissures au niveau des escaliers. Le cabinet a donc demandé auprès d'un laboratoire chimique de diagnostiquer le contenu de cette substance liquide qui sortait du béton : cette substance liquide en fait a été trop diluée et mal préparée. Par conséquent, le béton ne durcissait pas de façon normale. Lorsque les températures étaient plus clémentes à l'approche du printemps, il a fallu arrêter les travaux à hauteur des escaliers, car le béton avait dégelé.

 

Il a fallu trouver une méthode pour durcir très vite les escaliers entourant toute l'arène : on a opté finalement par un corset en acier qui supportait les éléments. Aujourd'hui, les escaliers sont fonctionnels.

 

Batiactu : Le point fort également, la pelouse chauffante reconnue comme ulta-moderne ?
Mariusz Rutz :
Depuis 2008, l'ensemble des stades qui accueillent les matches de la division Extra Classe (Ndlr : Première division française) doivent disposer obligatoirement de pelouses chauffantes. Il s'agit d'une zone de 90 cm, avec des tuyaux d'une technicité très moderne. La pelouse est installée, en fait, sur le toit du garage sous-terrain de deux niveaux de 1.800 places. C'est une plateforme de béton armé de qualité parfaite qui supporte la pelouse chauffante.

 

Propos recueillis par Sébastien Chabas à Varsovie

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