EFFICACITÉ. Mauvaise trajectoire, pilotage national non optimal et collectivités territoriales dépourvues de moyens… Trois ans après l'adoption de la loi de Transition énergétique pour la croissance verte, le Conseil économique social et environnemental dresse un bilan en demi-teinte de son application. Mais il formule également des pistes pour accélérer sa mise en œuvre.

La loi relative à la Transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a été adoptée en 2015. Elle avait alors pour but de place la France sur une trajectoire lui permettant de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à la moitié du siècle, notamment grâce au développement d'énergies alternatives et d'efforts en matière d'efficacité énergétique des bâtiments. Trois ans plus tard, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dresse un premier bilan des débuts de sa mise en œuvre. Et ce constat n'est pas totalement satisfaisant.

 

 

Il faudra bien réduire la part du nucléaire et déployer des EnR

 

Malgré toutes les initiatives mises en place, "l'économie française ne se trouve pas encore sur une trajectoire permettant d'espérer atteindre les objectifs fixés". Les émissions de gaz à effet de serre, par exemple, ont augmenté en 2015 et 2016, à cause du secteur des transports, où elles ne fléchissent pas, mais également à cause du bâtiment. Les deux rapporteurs, Madeleine Charru (ingénieure agro-économiste) et Guillaume Duval (éditorialiste), notent : "Dans le secteur du logement et du tertiaire, les objectifs de rénovation énergétique sont loin d'être atteints et la France demeure un des pays d'Europe les plus en retard dans le déploiement des énergies renouvelables". Le Conseil avance que cet important retard est lié aux délais d'agréments beaucoup plus longs dans l'Hexagone que dans les autres nations européennes, avec des exigences administratives trop importantes et des difficultés de raccordement à des réseaux "qui tardent à s'adapter à une production moins centralisée".

 

Autre remarque, le pilotage à distance de cette transition ne serait pas optimal : "De nombreuses instances traitent de ce sujet mais leur articulation reste peu claire". Les rapporteurs soulignent par exemple que l'épineuse question du nucléaire n'a pas été abordée lors de la première Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et que le débat sur la seconde, actuellement en cours, devrait s'emparer de cet aspect déterminant. Les membres du conseil économique et social soutiennent l'idée d'imposer un plan visant la réduction de la part de l'atome dans l'électricité nationale de 75 à 50 % avant 2035. La question de la mobilité durable (électrique ou hydrogène) devra faire l'objet d'une attention particulière sur le développement de réseaux d'approvisionnement adéquats, sur tout le territoire (bornes de recharge, stations spécifiques). Priorité devra également être donnée aux alternatives du transport routier individuel : transports en commun, covoiturage, ferroutage, télétravail… Afin de faciliter l'émergence des renouvelables, le conseil économique et social souhaite le doublement du Fonds chaleur, ce que le Syndicat des énergies renouvelables appelle de ses vœux depuis longtemps. Il propose également que le financement participatif soit encouragé pour les projets EnR et qu'il représente 15 % des projets en 2030.

 

Un pilotage local crucial pour qu'il soit précis

 

A l'échelon local, le CESE fait remarquer que le texte de loi a bien reconnu la place centrale des territoires dans la transition énergétique mais que les collectivités n'ont pas été dotées de moyens spécifiques pour assurer cette mission. Guillaume Duval et Madeleine Charru s'inquiètent même d'une diminution des dotations qui empêcherait la poursuite de certaines actions de rénovation des bâtiments, de lancements de projets d'EnR ou de la mise en place du Service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH), prévu par la loi de transition. Pourtant, ce dernier volet constitue une impérieuse priorité pour les deux rapporteurs : "Il faut déployer d'urgence un SPPEH sur tout le territoire et pour cela le doter d'un financement pérenne à hauteur de 3 euros par ménage et par an". Afin de massifier les rénovations, le conseil souhaite que soit accélérée la généralisation d'offres uniques de financement (dont le tiers-financement) et préconise d'inciter davantage "à des rénovations performantes et globales avec une priorité absolue à l'élimination des passoires thermiques occupées par les ménages pauvres". Un axe déjà privilégié par le gouvernement. Mais le CESE va plus loin dans le pilotage, puisqu'il recommande que des objectifs soient fixés par catégories de bâtiments et par territoires, puis qu'ils soient suivis "avec précision". Et il évoque la possibilité de passer progressivement des incitations à des obligations de travaux, peut-être lors des mutations de biens ou dans certains cas du parc tertiaire. Quant aux bâtiments publics, l'Etat devra montrer l'exemple en rénovant son patrimoine et en aidant les collectivités à faire de même.

 

Les rapporteurs formulent d'autres idées, y compris celle d'une attribution de moyens dédiés à la transition énergétique aux régions et aux établissements publics de coopération intercommunale, ceci via une part de la Contribution Climat-Energie (CCE). "Il faut aussi donner aux collectivités concédantes et à celles en charge des plans climat-air-énergie territoriaux plus de capacités à orienter le développement des réseaux d'énergies sur leurs territoires", avancent-ils. Les aspects économiques et sociaux de la transition ne devront pas être oubliés puisque les territoires devront veiller à développer un tissu d'entreprises de toutes tailles dans les différents domaines concernés, et à prévoir des Plans de programmation de l'emploi et des compétences (PPEC) pour la formation des salariés.

 

 

Des milliards de plus qui ne devront pas creuser la dette

 

Mais la principale question demeure celle des moyens financiers disponibles. Le CESE demande un effort d'ampleur et que les 20 Mrds € prévus pour le Grand plan d'investissement soient portés à 35 Mrds € ! Il suggère que les financements et dispositifs publics de soutien s'inscrivent dans la durée "pour offrir un cadre clair et lisible", comme le demandent régulièrement tous les acteurs de la transition afin de sécuriser les investissements. Le conseil économique et social prône même l'établissement d'une loi de Programmation de la Transition énergétique, à l'image de la loi de programmation des finances publiques et propose d'engager un débat au niveau européen pour que les fonds alloués à la lutte contre le réchauffement climatique soient, dans certaines conditions, exclus des critères de déficit et de dette publique. Enfin, les membres du CESE proposent que soient rationnalisés les dispositifs de soutien et que soient harmonisées les programmations établies au niveau régional avec les objectifs prévus par la Stratégie nationale bas carbone et par la Programmation pluriannuelle de l'énergie.

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