CRISE. Pour tenter de rassurer les acteurs économiques qui subissent de sérieuses répercussions en raison du confinement sanitaire, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a répondu à une série de questions concrètes posées par des professionnels. Mais Bercy a aussi rappelé que tous les secteurs d'activité qui le pouvaient doivent continuer à travailler, et que l'Etat "ne peut pas se substituer à tous les acteurs économiques".

Les mesures de confinement imposées par le Gouvernement pour endiguer la pandémie de coronavirus sur le sol français et le ralentissement général de l'activité économique placent nombre d'entreprises au pied du mur. Ce 19 mars 2020, une visioconférence a été organisée au ministère de l'Economie et des Finances pour répondre aux questions concrètes que se posent les professionnels sur leur activité quotidienne et les démarches administratives qu'ils doivent effectuer dans un tel contexte. Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des comptes publics, était accompagné pour l'occasion du directeur général des Finances publiques, Jérôme Fournel, et du directeur de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss, la caisse nationale des Urssaf), Yann Amghar.

 

 

Si les représentants de Bercy et de l'Administration ont tenus à rassurer les entreprises en soulignant que nombre de dispositifs avaient été débloqués pour les soutenir, quelle que soit leur taille ou leur secteur d'activité, ils ont toutefois insisté sur la nécessité de continuer à faire tourner le pays, en appelant chacun à prendre ses responsabilités. Les secteurs d'activité sont également appelés à considérer la charge de travail exceptionnellement lourde que les services de l'Etat doivent assumer dans ces circonstances elles aussi exceptionnelles, en ne perdant pas de vue la titanesque enveloppe débloquée en urgence par l'exécutif pour pallier à cette crise tant sanitaire qu'économique.

Voici donc une liste non-exhaustive des principales questions posées par des professionnels aux représentants de Bercy et de l'Administration, et les réponses de ces derniers :

- Sur l'état de catastrophe sanitaire et l'impact de la crise sur les marchés publics : "[...] cela a été déclaré, donc les pouvoirs publics, les collectivités territoriales, l'Etat, tous ceux qui ont des marchés, vont pouvoir être au rendez-vous et ne feront pas payer de pénalités aux entreprises", a détaillé le ministre des Comptes publics. "Nous travaillons en ce moment-même avec le ministère de l'Economie et des Finances, la CPME et le Medef pour reconnaître un état particulier de catastrophe de cette situation. Je rappelle que toute entreprise qui a moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires et qui a vu une perte de plus de 70%, connaîtra de façon automatique le versement de l'aide d'urgence."

 

- Sur l'indemnisation des chefs d'entreprises et des auto-entrepreneurs : "Ils peuvent prétendre aux aides dont peuvent bénéficier les travailleurs indépendants, c'est-à-dire la prise en charge des cotisations sociales ; ils peuvent aussi demander à bénéficier du fonds d'indemnisation", a répondu Yann Amghar. "Les dirigeants d'entreprises ne sont pas éligibles au chômage partiel mais peuvent, si l'entreprise respecte les conditions, demander à bénéficier du fonds d'indemnisation. Les micro-entrepreneurs, eux, ont bien la possibilité, soit de bénéficier de l'arrêt maladie s'ils remplissent les conditions, soit de bénéficier du fonds d'indemnisation s'ils remplissent les conditions, notamment en termes de baisse du chiffre d'affaires ou du secteur. Par contre, il n'est pas possible de bénéficier des deux dispositifs, ce qui est assez normal dans la mesure où le premier indemnise le fait que vous arrêtez de travailler pour rester à votre domicile, donc vous ne pouvez pas demander en plus le bénéfice du fonds d'indemnisation."

 

"Nous avons aujourd'hui beaucoup de confiance vis-à-vis des entreprises. Celles qui peuvent payer des impôts et des charges doivent continuer à le faire et ne pas être aujourd'hui en opportunité, parce que nous devons continuer à payer les retraites des Français, les salaires des fonctionnaires et singulièrement du personnel soignant, et pouvoir continuer à emprunter", a affirmé en préambule Gérald Darmanin.

 

"Donc il ne s'agit pas d'une remise générale des cotisations et des impôts pour tout le monde, parce que si nous faisons ça, évidemment chacun comprendra que l'Etat ne pourra plus fonctionner, que l'hôpital ne pourra plus être payé, que les salaires des fonctionnaires ne seront plus versés, et d'une manière générale nous ne pourrons pas payer les retraites et l'assurance maladie. Donc nous demandons la solidarité et bien sûr l'honnêteté : ceux qui peuvent payer les cotisations doivent continuer à le faire, ceux qui doivent demander des reports d'impôts et de cotisations doivent pouvoir le faire également."

 

S'agissant des micro-entrepreneurs ayant commencé leur activité après mars 2019, et au sujet de l'impact sur leur chiffre d'affaires en général, Jérôme Fournel ajoute : "Le fonds de solidarité sera accessible sur la base du revenu mensuel qui a été perçu au cours des derniers mois à partir de la création, donc de ce point de vue il n'y aura pas de différence de traitement même si la création est récente. L'aide est bien de 1.500 € par mois sur les derniers mois d'activité. Si on est sur des toutes petites entreprises qui ont notamment des régimes de TVA simplifiés, il y a des modalités particulières de timing sur le moment où la TVA est payée, et qui sont normalement plus lointaines que celles qu'on a dans les prochains mois." Mais Gérald Darmanin de préciser au passage : "En ce qui concerne la fiscalité, c'est une moyenne par rapport à votre travail précédent, il s'agit effectivement de pouvoir accompagner la crise du fait du coronavirus, et pas des difficultés intrinsèques que peuvent avoir certaines entreprises."

 

- Sur les conditions exactes de prise en charge du chômage partiel : "Toutes les entreprises sont visées, qu'elles soient très petites ou très grandes ; elles peuvent bénéficier du chômage partiel pris à 100% en charge par l'Etat", assure le ministre des Finances. "Il suffit qu'elles se rapprochent de leur Direccte pour pouvoir le déclarer, avec en plus un petit temps de retard qui sera accepté." Dans le cas où le salarié gagne plus que le Smic, les modalités de l'indemnité perçue sont les suivantes : "Jusqu'à 4,5 Smic, ce chômage partiel est pris en compte à 100%. C'est extrêmement important dans le budget de l'Etat : on va dépenser 8 milliards d'euros par mois pour cela, et c'est la formule que nous votons en urgence aujourd'hui et demain au Parlement."

 

Question a été posée de savoir si les entreprises qui ne sont pas obligées de fermer mais qui n'ont plus de travail ont tout de même droit à l'activité partielle, demandée car plus de clients, un chiffre d'affaires en pause et plus de fournisseurs : "Toute entreprise qui ne peut plus travailler peut l'obtenir de la Direccte, y compris de manière rétroactive, pour toute ou partie de ses salariés", confirme le ministre des Comptes publics.

 

Ce dernier a par ailleurs souhaité attirer l'attention sur la possibilité de poser des congés payés à la place du chômage partiel : "Vous pouvez aussi poser des congés payés. Chacun peut faire un effort dans ces conditions particulières pour avoir l'intégralité de son salaire : c'est de poser un certain nombre de congés en attendant que cette crise s'arrête. Beaucoup de congés se terminent à la fin du mois de mai et peuvent être utilisés pour ne pas perdre de salaire."

 

- Et quid du BTP ? Le ministre est revenu sur la polémique opposant le Gouvernement aux organisations représentatives du secteur sur la poursuite ou non des chantiers : "Le plus possible, il faut pouvoir travailler. Cela dépend évidemment beaucoup des matériaux à votre disposition et des conditions sanitaires dans lesquelles vous faites travailler vos salariés. Il y a en ce moment un travail très important fait entre le ministère de l'Economie, celui du Travail et les organisations syndicales nationales pour voir comment on peut dupliquer le fait que les salariés travaillent dans de bonnes conditions, respecter les distances, se laver beaucoup les mains, etc."

 

 

Pour Gérald Darmanin, les activités du bâtiment sont "capitales" pour la vie quotidienne de la population : "Mais partout où l'on peut travailler, il faut le faire, pour ne pas arrêter notre économie bien sûr, mais aussi pour pouvoir répondre aux interrogations de la Nation chaque jour : il y a beaucoup d'agents publics qui aujourd'hui travaillent dans cette continuité mais parfois aussi des entreprises, dans les déchets, l'eau, le numérique... pour le bon fonctionnement de notre Nation. Il y a beaucoup d'entreprises privées qui sont tout à fait capitales à notre vie commune : des réparations de toitures, des difficultés de voiries..."

 

Bercy confirme donc ainsi que la demande émanant d'une entreprise du BTP de profiter du mécanisme exceptionnel de chômage partiel sera logiquement validée... tout en appelant le secteur à maintenir l'activité autant que faire se peut, en phase avec le reste du discours de l'exécutif : "Toutes les entreprises, qu'elles soient petites ou grandes, quels que soient les secteurs d'activité, bénéficient des 100% de chômage partiel pris en charge par l'Etat. Maintenant, je rappelle que les annonces faites par le président de la République et le Premier ministre ne sont pas le confinement total de la population, parce qu'il faut continuer à travailler, notamment dans les secteurs où on ne peut pas physiquement télétravailler ; il y en a beaucoup, c'est le cas notamment du BTP ou de l'agroalimentaire. Donc il faut que tous les salariés qui peuvent continuer à travailler le fassent, le fassent dans des conditions sanitaires que doivent faire respecter leurs entreprises : être à 1 mètre de distance, se laver continuellement les mains... Mais évidemment, si jamais une entreprise, qu'elle soit du BTP ou d'une autre activité économique, connaît le chômage, tous ses salariés bénéficient du chômage partiel à 100%."

 

- Sur le délai de réponse de la demande de prise en charge du chômage partiel, Gérald Darmanin appelle chacun au calme et à la patience, vu la situation : "Aujourd'hui, des centaines de milliers d'entreprises et des dizaines de millions de personnes sont concernées par cette crise, et les agents publics sont, comme tout le monde, inquiets de leur santé et de leurs familles. Il faut prendre un peu sur soi pour que les agents des impôts, de l'Urssaf et plus généralement les agents de l'Etat, soient à l'écoute et prennent du temps pour répondre à chaque sollicitation. Chacun doit comprendre la situation dans laquelle on se trouve et accompagner le travail des agents publics. Ce qui est certain, c'est que toute demande faite notamment aux Direccte pour le chômage partiel, sera acceptée dans le cadre de la crise économique que nous vivons et rétroactive sur le mois précédent. Ce n'est pas parce que vous avez quelques jours de non-réponse qu'il s'agit d'un refus."

 


Et le droit de retrait dans tout ça ?

 

Sur le droit de retrait, Gérald Darmanin s'est voulu particulièrement clair sur son rôle : "Le droit de retrait est extrêmement encadré par le Code du travail et le Code de la santé publique, il est très peu accepté, et c'est tout à fait normal pour que l'activité économique puisse fonctionner. Nous travaillons avec les organisations syndicales en ce moment pour que nous soyons bien d'accord sur ces règles : le minimum que nous devons faire dans ce cadre-là est d'être à 1 mètre de distance, se laver les mains très périodiquement..."

 


- Au sujet du fonds d'indemnisation et de sa pérennité : "Le fonds d'indemnisation d'un milliard d'euros est prévu par mois. Donc si la crise devait durer - on ne sait pas combien de temps elle va durer, aujourd'hui je vous rappelle que le président de la République a évoqué 14 jours -, ce fonds sera renouvelé et nous reviendrons vers vous", souligne le locataire de Bercy. Qui a aussi mentionné la question des charges fixes incombant aux entreprises : "Le principe étant que si vous avez des difficultés pour payer les charges fixes - l'eau, l'électricité... -, un accord a été trouvé entre l'Etat et les énergéticiens pour qu'on puisse reporter, voire annuler, une partie de ces factures. Donc je ne peux pas dire combien de temps durera la crise, personne ne le sait, mais si chacun respecte les gestes barrières et le confinement en-dehors du travail, cela durera le moins de temps possible. Mais c'est possible que cela dure, et dans ces conditions l'Etat prendra ses dispositions."

 

Pour les reports des loyers et factures, quelle démarche entreprendre ? "Vous devez vous adresser à votre fournisseur. Si jamais il y a une difficulté particulière, vous pouvez nous interpeller."

 

Mais sur la question plus particulière des loyers et charges demandés par des bailleurs privés, l'exécutif attend de chaque acteur qu'il assume sa part de responsabilité : "Votre bailleur privé doit aussi faire un effort. Nous avons travaillé avec les sociétés qui ont beaucoup de baux, notamment commerciaux. Pour les autres, notamment les petites entreprises faisant moins d'1 million d'euros de CA, le fonds d'indemnisation peut permettre de verser une partie de ce qui a été demandé. Les banques ont rappelé qu'elles seront au rendez-vous pour qu'il y ait des prêts et qu'il n'y ait pas de difficultés particulières sur un certain nombre d'agios qui pourraient être instaurés. Par ailleurs, il faut que chacun fasse un effort car chacun comprendra que l'Etat ne peut pas se substituer à tous les acteurs économiques. Je rappelle que l'Etat, qui fait un effort de 45 milliards d'euros en 3 jours, doit lui-même emprunter sur les marchés financiers, payer les retraites, les agents publics et faire des efforts extrêmement importants pour répondre à l'urgence sanitaire de notre pays."

 

- Un report de la TVA peut-il être envisagé ? La réponse est non pour le Gouvernement : "La TVA est due, elle va avec votre chiffre d'affaires, c'est-à-dire que quand vous avez de l'activité économique, quand vous vendez des biens, des prestations de services, le consommateur paye la TVA et vous la collectez au nom de l'Etat. Ce qui n'a rien à voir avec un impôt que vous paierez de manière fixe - c'est le cas des taxes sur les salaires, de l'impôt sur les sociétés, des charges sociales que vous versez", explique Gérald Darmanin. "La TVA doit rentrer dans les caisses de l'Etat, ce qui nous permet d'ailleurs de faire fonctionner les services publics essentiels. Si vous avez des créances de TVA, si l'Etat vous doit de l'argent, vous mettrez un peu plus de temps que d'habitude à être remboursé, mais des consignes ont été données aux agents des impôts pour que cette créance vous soit extrêmement vite remboursée pour améliorer votre trésorerie."

 

"Nous sommes dans une situation de guerre, il y a un effort de guerre à fournir, ne serait-ce que pour que notre pays puisse continuer à fonctionner, à payer les retraites, les salaires des agents publics, à payer la force publique, à continuer à faire travailler nos grands réseaux de transports, de logistique et d'énergie... Chacun doit faire un effort pour cela. Pour ceux qui peuvent travailler, merci de pouvoir continuer à le faire ; pour ceux qui ne peuvent pas travailler, l'Etat garantit ce qu'il n'a jamais fait auparavant."

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