La vitesse de propagation des fissures au coeur d'un matériau fragile serait 4 fois moins rapide qu'attendu. Telle est la conclusion d'une étude menée par des chercheurs du CEA-IRAMIS et de laboratoires du CNRS (SVI et LTDS). La compréhension du phénomène pourrait avoir de nombreuses implications en ingénierie des matériaux : la méthodologie employée pourrait par exemple fournir des indications sur les causes d'un effondrement d'une structure.

Les matériaux fragiles, comme le verre, se cassent par propagation de fissures. La prévision du comportement du matériau nécessite la connaissance de vitesse d'avancée de la fissure et la bonne compréhension des facteurs dont elle dépend. Jusqu'à présent, il était admis que la vitesse de propagation était égale à la vitesse des ondes acoustiques à la surface du matériau, dite « vitesse de Rayleigh ». Des scientifiques du CEA (« Institut Rayonnement Matière de Saclay ») et du CNRS (laboratoires « Surface du Verre et Interfaces » et « Tribologie et Dynamique des Systèmes ») ont mené une étude et démontré que la vitesse des microfissures engendrées par les défauts au cœur du matériau, serait en fait 4 fois plus faible qu'attendu : environ 200 mètres/seconde dans le Plexiglas (pour une vitesse de Rayleigh de 900 m/s environ). La propagation de la fracture principale serait augmentée par l'effet géométrique de rencontre des multiples microfissures (coalescence des microfissures avec la fissure principale).

 

Le comportement observé, à l'échelle microscopique, est donc très différent de celui observé à grande échelle (macroscopique) où la vitesse de fracture est proportionnelle à la force appliquée pour ouvrir la fissure (jusqu'à 500 m/s). En toute logique, un échantillon se rompt d'autant plus vite que la force est élevée. Au-delà d'une certaine vitesse de rupture, la propagation de la fissure s'accompagne de la naissance d'une multitude de microfissures en avant du front principal à partir de minuscules défauts toujours présents dans le matériau. Le rythme de leur création, extrêmement élevé (plus de 100 millions d'événements par seconde, soit un temps caractéristique de 10 nanosecondes), rend impossible le suivi en temps réel au cours des expérimentations.

 

Une méthodologie d'observation expérimentale novatrice
Les chercheurs ont réussi à comprendre le phénomène en observant au microscope sous lumière polarisée les empreintes de chaque microfissure sur les surfaces de rupture des échantillons de Plexiglas. Ils ont réussi à reconstruire en détail la série d'événements ayant mené à la rupture rapide à partir de la géométrie du réseau d'empreintes : point d'origine de chacune des microfissures, chronologie de leur apparition et vitesse de développement individuel.

 

L'étude, publiée dans la très prestigieuse revue internationale Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), souligne donc le rôle important que jouent les micro-défauts présents dans un matériau pour comprendre son comportement en rupture. Leur prise en compte devrait permettre de mieux apprécier - et donc à terme d'améliorer - la résistance des matériaux. Au-delà d'un aspect fondamental, la méthodologie développée afin de reconstituer dans le détail la chronologie des événements au cours de la rupture pourrait trouver des applications intéressantes. L'analyse des seules empreintes laissées sur les surfaces de rupture pourrait notamment fournir des indications sur les causes de l'effondrement d'une structure.

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