INTERVIEW EXCLUSIVE. Après avoir publié en mars 2016, le livre-brûlot, "Il faut tout reconstruire", l'architecte Roland Castro, qui s'est lancé en 2007 dans l'aventure présidentielle, revient en politique. Il nous explique pourquoi il votera en mai 2017 en faveur d'Emmanuel Macron.

Provocateur, agitateur et grande gueule, Roland Castro surprend. Dans son agence située devant les murs du cimetière du Père Lachaise, dans le 20ème arrondissement de Paris, l'architecte a cette curieuse habitude de s'exprimer davantage sur la politique que sur l'architecture. "Certes, je suis architecte... Mais pas seulement, je suis aussi essayiste et poète voulant redonner du sens à la politique", nous explique-t-il le 22 décembre 2016.

 

Défenseur du Grand Paris et inventeur de l'expression "apartheid urbain"

 

Si l'architecte ne touche pas un mot de ses réalisations pourtant, elles sont variées. Il compte, par exemple, à son actif l'université de technologie de Belfort-Montbéliard, des logements collectifs à Noisy-le-Grand, un programme d'ensemble rue de Bagnolet, ou encore plus récemment la création actuelle de l'éco-quartier Louvres et Puiseux-en-France (Val d'Oise), et le programme de rénovation mixte au sein du quartier de la Coudraie à Poissy (Yvelines).

 

Toutefois, ce défenseur du Grand Paris et inventeur de l'expression "apartheid urbain", affirme "une vision de l'architecture loin du mouvement moderne, massacre de l'urbanité qui a déchiré la ville en zone."

 

Fondateur en 1981 de l'association Banlieues 89, il décide de faire prendre conscience à François Mitterrand de l'urgente nécessité de se pencher sur les "cités". Son combat est clair : "Désenclaver et favoriser le lien social". Il regrette d'autant plus, que durant "les émeutes de 2005, qu'aucun de ses quartiers n'a bougé."

 

Militant du Parti communiste français (PCF), dont il est exclu en 1965, puis maoïste dans les années 1970, Roland Castro revient en politique en 1983 avec son Mouvement pour l'Utopie Concrète (MUC) dans l'optique de restaurer le lien social. "Je me lance ensuite pour la Présidentielle de 2007, nous rappelle-t-il. Mais, les signatures manquent… Dix ans après je ne le regrette pas, il fallait le faire. En revanche, c'est vrai, mon boulot n'était pas assez sérieux pour collecter les signatures nécessaires à la candidature."

 

Enfin, il dresse en 2016 un portrait critique des politiques de la ville dans son nouveau livre "Il faut tout reconstruire" qui critique la relation entre l'architecture, l'urbanisme et le vivre-ensemble. L'occasion pour lui, de s'engager de nouveau en politique mais cette fois-ci avec Emmanuel Macron, candidat à l'élection présidentielle de 2017… Tout un "bon programme" selon lui !

 

Batiactu : Fondateur en 1981 de l'association Banlieues 89, vous décidez de faire prendre conscience à François Mitterrand de l'urgente nécessité de se pencher sur les "cités". Vingt-cinq ans plus tard vous dressez un portrait critique des politiques de la ville "Il faut tout reconstruire" : pourquoi ce nouveau coup de gueule ?
Roland Castro :

Je le répète par crainte de n'être pas entendu : la France d'aujourd'hui est au bord de la guerre civile. Cette formule peut être qualifiée d'"alarmiste", "anxiogène", ou "catastrophiste", elle n'en est pas moins vraie. Je l'évoque dans mon livre "Il faut tout reconstruire"*, rédigé après les attaques terroristes contre Charlie Hebdo et l'épicerie Hyper Cacher et pire encore après les fusillades qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre 2015.

 

La rédaction de ce livre fut un impératif besoin. J'ai extrêmement peur pour mon pays et j'ai repris tout ce qui me paraissait indispensable pour que la France fonctionne notamment sur les questions urbaines et politiques. J'ai fait en quelque sorte une esquisse de la 6ème République dotée d'un service civique obligatoire, un autre système politique où le président de la République est élu au suffrage universel en l'absence d'un Premier ministre, avec un Parlement et un vote majoritaire à un tour et enfin un autre point essentiel à mes yeux une distinction du marché et du non marchand.

 

Ne pourrions-nous pas cesser de faire de l'économie libérale la valeur centrale qui nous régit ? Par exemple, l'éducation, la santé ou la retraite sont ainsi des publics non soumis à la pensée de la modernité, même si leurs budgets se révèlent souvent incompressibles. Je pense aussi que le droit à l'urbanité doit être considéré comme un service public, je souhaite l'extraire par conséquence du marché, même si des entreprises privées peuvent être intelligemment mobilisées dans cette perspective.

 

Ces propositions, je les ai d'ailleurs formulées en 2003, lorsque j'ai cofondé le Mouvement pour l'Utopie Concrète (MUC), pour restaurer le lien social. Je les ai présentées ensuite argumentées en 2007, l'année où je me suis porté candidat à l'élection présidentielle.

 

 

"La société repose sur une opposition entre une France des métropoles et une France périphérique"

 

Batiactu : Quels sont vos autres constats et inquiétudes exprimées dans votre livre ?
Rolland Castro :

Ce bouquin est en colère contre la société politique telle qu'elle est. Le bilan que l'on fait depuis les années Mitterrand, l'installation très pérenne du Front national (FN) me travaille le plus, mais pas seulement… La société française, aussi.

 

Par exemple, le géographe Christophe Guilluy l'explique parfaitement bien dans la France Périphérique. Je rejoins son idée de dire que la société repose sur une opposition entre une France des métropoles - où se créent les richesses et où "se concentre une nouvelle bourgeoisie qui capte l'essentiel des bienfaits du modèle mondialisés" - et une France périphérique des catégories populaires, celle des villes petites et moyennes et des territoires ruraux.

 

Au final, je constate qu'il n'y a pas eu de travail de fond mené par les hommes politiques sur les quartiers abandonnés. Depuis trop longtemps, nous subissions cette fracture urbaine que j'ai eu le sentiment d'être presque le seul à dénoncer avec Michel Cantal-Dupart. Mais, au-delà de celle-ci, que Jean-Louis Borloo a tenté d'enrayer comme ministre de la Ville avec l'Agence de rénovation urbaine, on a une fracture territoriale plus gigantesque. Depuis, les crédits ANRU ont baissé et le dernier Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) est trop pauvre... Il est primordial que les quartiers soient attractifs pour éviter une fracture urbaine.

 

"Je ne pourrai donc pas vous dire s'il est plus Jean Nouvel ou Christian de Portzamparc."

 

Batiactu : Enfin, pourquoi soutenez-vous la candidature d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle de 2017 ?
Roland Castro :

C'est dans le quartier de la Coudraie à Poissy (Yvelines) que j'ai souhaité invité, en novembre 2016, Emmanuel Macron pour qu'il puisse constater les travaux entrepris pour la rénovation urbaine du quartier et aussi mieux le connaître. Certes, nous n'avons pas parlé d'architecture de grands projets à l'image de la Pyramide du Louvre, je ne pourrai donc pas vous dire s'il est plus Jean Nouvel ou Christian de Portzamparc. Mais, il a plein de choses à dire sur la 'bonne urbanité'. Il la défend avec force. Il est, par exemple, d'accord sur l'idée de faire monter la ville dans les quartiers !

 

La typologie des logements doit être aussi variée pour attirer toutes les catégories de la population. Des endroits où coexistent des studios pour les jeunes, des duplex pour les couples dont les enfants ne sont plus à la maison mais qui souhaitent conserver de l'espace et bien entendu des appartements familiaux. Sur la question de la création d'un ministère en banlieue, Emmanuel Macron me suit aussi !

 

Sur l'emploi, je le retrouve sur la fin des 35 heures pour les jeunes et également sur la retraite à la carte. Partir à la retraite "à 60 ans, à 65 ans ou à 67 ans", en fonction des individus, des métiers exercés, des situations personnelles, pour lui, tout doit être possible. "Si on se contente d'appliquer des critères de pénibilité de manière arbitraire, on ne fera que recréer des régimes spéciaux", m'a-t-il d'ailleurs confié.

 

Et depuis son dernier meeting à La Mutualité à Paris, j'ai découvert avec bonheur, une intelligence et une sincérité qui ont l'air de prendre au sérieux le projet de notre pays. Les autres sont des politiciens qui ont des avenirs en fonction de leur clientèle et non en fonction des intérêts du pays ! J'en suis convaincu : c'est un homme de conviction qui a une manière de faire bouger la société extrêmement féconde. Pour moi, il va gagner la présidentielle.

 

*"Il faut tout reconstruire, propositions pour une nouvelle société", éditions de l'Archipel.

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