AGRICULTURE. Le salon international de l'Agriculture bat son plein et le ministère annonce le lancement d'un plan d'action sur la bio-économie destiné à valoriser la biomasse et renforcer les filières notamment de paille. Mais cette ressource doit-elle être employée en tant que matériau ou pour produire de l'énergie ? Eléments de réponse avec une étude francilienne de l'IAU.

Le ministère de l'Agriculture annonce le lancement d'un plan d'action comportant une cinquantaine de mesures afin de développer "l'économie du vivant", y compris la production d'énergie à partir de biomasse ou la valorisation de déchets agricoles. De nouvelles filières pourraient être créées et d'autres, encouragées comme celles de valorisation des fibres et des coproduits végétaux, y compris la paille de lin et de chanvre. Car, au-delà de son usage agronomique, où elle est rendue au sol par enfouissement ou sous forme de fumier, la paille fait aujourd'hui l'objet d'un intérêt accru pour d'autres usages. Elle peut servir à isoler de façon naturelle des bâtiments ou peut également être valorisée énergétiquement comme agro-combustible ou comme ingrédient dans un méthaniseur. Le développement simultané de ces différents débouchés devrait logiquement impacter le travail agricole et les manières de conduire les cultures. D'où une nécessaire coordination des stratégies de valorisation de la paille afin d'en assurer une gestion optimale et prévenir des conflits d'usages.

 

 

La paille dans la construction, pour l'isolation…

 

L'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d'Île-de-France (IAU) a donc réalisé une étude sur la paille et les usages du gisement agricole régional, dont les conclusions peuvent être généralisées à toutes les régions où les cultures céréalières sont prédominantes (Centre et Nord du pays). Le document souligne tout d'abord que la valorisation matériau est encore faible. Elle est de l'ordre de 4.600 tonnes à l'échelle nationale. Les auteurs expliquent : "Ce marché encore limité connaît néanmoins un engouement croissant grâce à la publication des règles professionnelles en 2012 et la structuration du Collect'if Paille". Jean-Michel Grosselin, vice-président de l'Association des industriels de la construction biosourcée, nous expliquait, au mois de novembre dernier, que la filière de la paille n'était pas encore industrialisée et demeurait "encore très artisanale". Une situation qui n'empêche pas le secteur d'être dynamique avec des progressions de l'ordre de +5 à +10 % par an, sans que les soubresauts des crises ne le touche. "Il y a une appétence pour ce type de produits", nous confiait-il, ajoutant que les biosourcés "devraient finir par être considérés comme traditionnels aux côtés des isolants minéraux ou polymères". Même si les matériaux sont désormais reconnus, évalués, certifiés et commercialisés dans des réseaux classiques de négoces, de nombreuses réticences demeurent. L'IAU note : "Afin que la demande en construction paille augmente, un certain nombre de freins reste et, notamment, les idées reçues rencontrées (non-résistance au feu, matériau peu disponible en contexte urbain…)". Les auteurs font également valoir que les entreprises formées à la mise en œuvre de matériaux paille sont encore peu nombreuses.

 

… et dans l'énergie, pour la méthanisation

 

Concernant la valorisation énergétique, elle est aussi en développement. La synthèse de l'étude fait valoir que "l'utilisation de la paille en agro-combustible est encore faible", signalant au passage que "ces combustibles ont des impacts potentiels sur la qualité de l'air en lien avec leur teneur initiale en azote, soufre et chlore favorisant la formation d'oxydes d'azote, d'oxydes de soufre et d'acide chlorhydrique". D'où une autre voie préférentiellement choisie, qui est celle de la méthanisation. Il s'agit en fait de dégrader la matière organique en absence d'oxygène au moyen de micro-organismes méthanogènes. Cette filière devrait d'ailleurs connaître une forte expansion à l'avenir puisque le plan Energie Méthanisation Autonomie Azote a fixé un objectif de 1.000 méthaniseurs dans des fermes françaises d'ici à 2020. Le ministère de l'Agriculture prévoit d'ailleurs de "lever les freins réglementaires à la méthanisation agricole" dès 2018, en simplifiant les procédures administratives. Emmanuel Macron a également annoncé la mise en place d'un fonds de prêts sans garantie en faveur de ces projets, d'un montant de 100 M€, dans le cadre du volet agricole du Grand Plan d'Investissement.

 

Brûler ou construire, il faut choisir

 

 

Entre ces deux usages de la paille, isolation d'un côté et méthanisation de l'autre, de potentiels concurrences pourraient donc apparaître si aucune coordination n'était mise en place. L'IAU note : "La filière biomasse énergie se développant plus rapidement que la paille-construction, il apparaît donc nécessaire de réserver des gisements suffisants à cette dernière afin de permettre son développement futur". La sélection de graines aux tiges courtes, voire l'utilisation de raccourcisseurs de pailles "afin de réduire la sensibilité à la verse", risque, par exemple, de réduire le volume de matériau disponible. Le rapport pointe aussi un impact possible sur la qualité des sols en fonction du mode de conduite des cultures et de la nature du terrain. Les experts évoquent un phénomène "d'appauvrissement en matière organique" auquel il faudra être attentif au moment de décider des usages potentiels. Sur l'industrialisation de la filière, il apparaît que la valorisation de la paille rendra obligatoire des investissements en matériels agricoles spécifiques et qu'elle induira une charge supplémentaire de travail, qu'il s'agisse d'exportation des balles hors du champ en période de forte activité ou d'épandage du digestat pour les projets de méthanisation. L'institut soutient que le prix actuel - 15 à 20 €/tonne de paille en andain - serait trop faible pour présenter un intérêt économique et qu'un tarif de 25 €/tonne serait un minimum pour rendre cette activité attractive.

 

Le rapport de l'IAU Île-de-France propose plusieurs pistes de travail sur l'évaluation de la disponibilité des ressources et sur l'anticipation des usages. Afin de favoriser l'utilisation de la paille dans la construction, il avance l'idée de lancer des actions de communication et de sensibilisation à destination des donneurs d'ordres via la promotion du label "Bâtiment biosourcé" et en prescrivant le matériau dans les constructions publiques. Des "ambassadeurs de la construction biosourcée" pourraient jouer le rôle de porte-étendards dans les régions en éclairant leurs interlocuteurs. Un bonus de constructibilité pourrait également être alloué aux bâtiments qui en emploient. Concernant la valorisation énergétique, le rapport prône un encouragement des coopératives et industries agroalimentaires (séchage du grain, sucre) à devenir des centres logistiques de bio-combustibles solides. Il existe en effet un problème de saisonnalité de la production qui amène une variabilité dans la disponibilité des produits. Des recommandations qui placent les collectivités et acteurs territoriaux au premier plan, en termes de coordination, d'information et d'accompagnement, ceci afin d'éviter que les filières ne se développent en silos. Un comble pour l'agriculture.

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