Alors que les clauses Molière, imposant l'usage du français sur les chantiers, étaient sujettes à de nombreuses polémiques, le Conseil d'Etat vient de se prononcer sur la légalité des clauses d'interprétariat parfois imposées dans le cadre d'une procédure d'appel d'offre.

Détachement de travailleurs : respect d'un noyau dur de droits sociaux

 

 

Dans le cadre de la passation de marché publics de travaux, certaines régions, afin de palier une concurrence sociale déloyale sont allées jusqu'à imposer une clause Molière imposant l'usage du français sur les chantiers. Cette clause, jugée discriminatoire selon une instruction ministérielle du 27 avril 2017, ne doit pas être confondue avec la clause d'interprétariat, qui elle, prescrit aux entreprises candidates de recourir à un interprète afin de faciliter la compréhension des droits sociaux par les travailleurs non francophones. Si les clauses Molière n'étaient pas de nature à assurer la protection des travailleurs selon l'instruction précitée, ce n'est pas l'interprétation retenue par le Conseil d'Etat s'agissant des clauses d'interprétariat.

 

Pour rappel, lorsque vous décidez de recourir à des travailleurs étrangers, il vous revient d'appliquer les règles de droit commun du détachement transfrontalier issues de la directive détachement 96/71/CE (Code du travail, art. L. 1262-4). Ainsi, vous êtes soumis aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité établies en France. Sont notamment concernées les règles relatives au salaire minimum, à la durée du travail ou encore à la santé et à la sécurité au travail.

 

Les salariés détachés de l'étranger bénéficient donc d'un « noyau dur » de règles sociales.

 

ATTENTION
Depuis la Loi Macron du 6 août 2015, et en vue de lutter contre le travail illégal, le secteur du BTP doit se conformer au dispositif relatif à la carte d'identification professionnelle (Code du travail, art L. 8291-1).

 

La carte d'identification professionnelle : mode d'emploi


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Dans le cadre d'un chantier de bâtiment ou de génie civil, le maitre d'ouvrage, le maitre d'œuvre et le coordonnateur en matière de sécurité et de protection de la santé doivent mettre en œuvre les principes généraux de prévention (C.trav., art L. 4531-1). Par ailleurs, le maitre d'ouvrage (une collectivité territoriale, par exemple) est soumis à une obligation de vigilance en matière d'application de la législation du travail.

 

Ainsi, les conditions d'exécution d'un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives au domaine social et à l'emploi. Si cette mesure restreint l'exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, elle ne peut être admise qu'à la condition de poursuivre un objectif d'intérêt général. La clause d'interprétariat est l'une des mesures sociales envisageables.

 

Clause d'interprétariat : motif d'intérêt général validé par le Conseil d'Etat

 

Dans l'affaire soumise au Conseil d'Etat, la préfète de la région Pays de la Loire avait saisi le juge des référés du tribunal administratif afin qu'il annule la procédure de passation d'un marché public dont le cahier des clauses administratives particulières comportait deux clauses d'interprétariat. Elle considérait en effet, que lesdites clauses méconnaissaient le principe de la libre concurrence entre les entreprises françaises et étrangères. Les clauses litigieuses imposaient aux entreprises candidates la présence d'un interprète sur le chantier afin d'informer les salariés non francophones sur leurs droits sociaux et de les former aux règles applicables en matière de santé-sécurité. Le juge des référés avait rejeté cette demande.

 

Le ministre de l'Intérieur a alors saisi le Conseil d'Etat aux fins d'invalider les clauses d'interprétariat.

 

 

Le CE rejette le pourvoi formé par le ministre de l'Intérieur en jugeant qu'à supposer que cette clause restreigne l'exercice effectif d'une liberté fondamentale garantie par l'Union européenne, elle poursuit un objectif d'intérêt général. La clause d'interprétariat est alors jugée nécessaire et proportionnée. Selon les juges, elle vise à garantir un objectif d'intérêt général lié à la protection sociale des travailleurs en rendant effectif l'accès des travailleurs étrangers à leurs droits sociaux essentiels et donc permet à l'entreprise de répondre à ses obligations.

 

S'appliquant indistinctement à toute entreprise quelle que soit sa nationalité, cette clause n'est pas considérée comme discriminatoire et présente un lien suffisant avec le marché.

 

NOTEZ-LE
La mise en œuvre de cette clause d'interprétariat ne doit pas occasionner de coûts excessifs au titulaire du marché.

 


Une personne publique peut donc valablement imposer aux entreprises de travaux publics candidates à un appel d'offres de recourir à un interprète pour les salariés non-francophones. Ces clauses permettant alors au maitre d'ouvrage de respecter son obligation de prévention et de vigilance.

 

A travers sa décision, le CE a certainement voulu édifier un garde-fou contre le dumping social. Rappelons enfin que les ministres de l'Emploi des différents Etats de l'UE se sont accordés sur un projet de révision de la directive détachement. Parmi les mesures emblématiques figure la limitation de la durée du détachement à 12 mois au lieu de 36 mois actuellement.

 

Conseil d'Etat (Section du contentieux, 7e et 2e chambres réunies), 4 décembre 2017, n° 413366 (la clause d'interprétariat garantit un objectif d'intérêt général liés à la protection des travailleurs)

 

 

Source : Editions Tissot

 

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