Pour la 4e édition de Monumenta, le Grand Palais accueille l'œuvre gigantesque de l'artiste britannique d'origine indienne, Anish Kapoor. Baptisée Leviathan, cette immense structure gonflable aux teintes sanguinaires occupe la grande nef du bâtiment de verre et d'acier. Autant performance artistique que technique, elle allie l'art et la matière avec une seule finalité : confronter le visiteur à lui-même. Expérience.

Une structure gonflable a vu le jour au Grand Palais… Telle une énorme bulle de chewing gum, elle vient emplir un espace de plus de 60.000 m3 sous l'immense verrière rénovée du bâtiment parisien. Monumenta, nom de cette manifestation, est organisée, depuis 4 ans, par le ministère de la Culture et de la Communication. Elle invite chaque année un artiste à investir les 13.500 m2 et les 35 mètres de hauteur de la Nef en créant une œuvre inédite.
Après Christian Boltanski et ses « Personnes » en 2010 (amoncellement de vêtements pour signifier une réflexion sur la vie, la mort et la destinée, ndlr), c'est Anish Kapoor qui est à l'honneur cette année dans ce haut lieu culturel de la capitale. Et l'on peut dire que l'œuvre qu'il dévoile aujourd'hui aux visiteurs est des plus gonflées ! En effet, il a imaginé une structure qui semble se développer de manière tout à fait naturelle sous la verrière et vient en épouser parfaitement les contours. De l'extérieur, Leviathan se compose de trois énormes bulles de couleur pourpre ; à l'intérieur - car l'œuvre se visite - c'est un véritable voyage… intérieur, tant l'impression d'évoluer dans les entrailles d'un géant, humain ou pas, est prenante. Et les teintes de rouge, qui varient selon la lumière naturelle (le jour) ou artificielle (le soir), participent de cette sensation inédite.

 

Prouesse technique
Une prouesse que l'on doit notamment à l'industriel français Serge Ferrari, qui a réalisé sur mesure la matière textile de l'œuvre. La technologie de pointe utilisée, le précontraint®, a permis à Anish Kapoor de sublimer son monstre biblique [il s'agit d'un monstre marin évoqué dans la Bible (…) capable de modifier la planète, et d'en bousculer l'ordre et la géographie, sinon d'anéantir le monde, ndlr]. Outre la texture même de la toile, qui se doit d'être très résistante, c'est sur le choix de la couleur que tout repose. L'artiste, qui sait déjà qu'il veut inonder le visiteur avec la couleur, s'interroge un moment sur le choix de celle-ci : rouge vif, rouge sang ou beige ? « Il y avait la volonté chez lui d'obtenir un rouge morbide, de sang séché », précise Françoise Fournier, responsable marché Architecture chez Ferrari. Après de nombreuses études techniques et de tests dans ses ateliers, Anish Kapoor tranche pour un rouge très foncé qui laisserait passer la lumière. Une hérésie ? Plutôt un véritable défi pour les équipes R&D de l'entreprise Ferrari, basée en Isère : quatre essais industriels de 1.000 m2 chacun sont ainsi réalisés - chose qui ne se fait jamais - avant de trouver le coloris au souhait de l'artiste, qui a débuté sa collaboration avec Ferrari avec la réalisation de Marsyas (cf. photo) en 2002. « Nous avons beaucoup appris au niveau de la couleur (…) et au final, nos équipes ont vraiment la sensation d'avoir participé à une œuvre créatrice, à l'image des cathédrales en leur temps », estime Françoise Fournier.

 

Assemblées par soudage spécifique sur place, les 4 pièces de textile - qui mesurent entre 3 et 4.000 m2 chacune, ont ensuite été gonflées grâce à deux ventilateurs de 20.000 m3 chacun, et le sont en permanence à très faible pression. Ainsi, une certaine quantité d'air s'échappe naturellement de la sculpture, mais à des quantités minimes. Un capteur d'air de pression, installé à l'intérieur de Leviathan, envoie un signal à la soufflerie principale dès que le seuil minimal est atteint. De même, des ventilateurs sont intégrés au SAS d'entrée et de sortie afin de renouveler l'air frais. Il aura fallu près de 48 heures pour gonfler entièrement la structure, et il en faudra presque autant pour la démonter.

 

Ephémère, l'œuvre d'Anish Kapoor est visible jusqu'au 23 juin prochain. Entièrement financée par l'artiste - une somme à 7 chiffres dit-on - son devenir est en suspens. L'artiste en deviendra propriétaire à l'issue de son exposition, la question est de trouver désormais un lieu aussi symbolique pour l'accueillir… La revendre, la recycler… cela reste des possibilités.

 


Fiche technique de Leviathan

 

Dimensions totales de l'œuvre : 99.89 x 72.23 x 33.60 m
Surface totale de l'œuvre textile : 12.092 m2
Surface totale (toile et chutes) : près de 20.000 m2
Surface intérieure de l'œuvre : 300 m2
Densité du textile : 0.850 kg/m2
Volume de la sculpture : 72.000 m3
Poids de l'œuvre gonflée : + de 10 tonnes
Mise en œuvre : 1 semaine de montage dont 2 jours dédiés au gonflage
Fabricant du textile spécialement créé pour Anish Kapoor : Serge Ferrari®
Bureau d'études : Tensys (GB)
Ingénierie/Confection/Installation : Hightex GmbH
Capacité d'accueil dans l'œuvre : 300 personnes

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Leviathan

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Kapoor © CL
La structure gonflable vient épouser les formes de la Nef du Grand Palais. Au total, Leviathan d'Anish Kapoor pèse plus de 10 tonnes.

Rouleaux de textile

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Kapoor © Hightex
Le tissu qui compose Leviathan a été conçu par la société française Serge Ferrari, spécialement à la demande d'ansh Kapoor. Hightex, une société allemande, s'est occupée de tester l'ensemble des forces et tensions qui seront exercées sur la toile au moment du gonflage.

Découpe numérique des rouleaux

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Kapoor © Hightex
Telle une couturière, le bureau d'étude a marqué l'ensemble des coutures du tissus et dessiné un patron précis de l'oeuvre. Rappelons qu'aucun test grandeur nature n'a été réalisé avant sa mise en oeuvre au coeur du Grand Palais.

Confection par soudure

Kapoor
Kapoor © Hightex

Surface de la toile en atelier

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Kapoor © Hightex
D'une superficie de 10.312 m2, et divisée en 4 parties, l'oeuvre d'Anish Kapoor a été transportée en pièces détachées dans des containers avant d'être acheminée vers le musée parisien.

Pliage de la toile

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Kapoor © Hightex

Ballots contenant la toile

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Kapoor © Hightex

Montage de l'oeuvre

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Kapoor © Photo Laetitia Benat - Monumenta 2011
Mis en place au coeur de la Nef, Leviathan est prêt à s'élever jusqu'en haut de la verrière. Il faudra deux énormes ventilateurs de 20.000 m3 chacun pour gonfler la structure.

Montage et gonflage

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Kapoor © Photo Laetitia Benat - Monumenta 2011
Le soudage des 4 pièces a été réalisé sur place grâce à une machine spécialement conçue pour l'occasion. La soudure n'est pas réversible, pour démonter Leviathan, il faudra découper les pièces.

Perspective

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Kapoor © CL
Au final, une oeuvre de plus de 11 tonnes et d'un volume de 61.000 m3.

Bulles

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Kapoor © CL
De couleur pourpre, l'oeuvre a été l'objet d'un véritable défi pour les équipes de R&D de l'entreprise iséroise Serge Ferrari. En effet, à la demande d'Anish Kapoor, Ferrari a créé un coloris unique, au ton rouge sang. "Le plus difficile a été de trouver un textile résistant, de couleur sombre et transparent à la fois", explique Françoise Fournier, responsable marché Architecture chez Ferrari.

Entrailles

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Kapoor © CL
A l'intérieur, le voyage commence. Sensation étrange, due notamment aux teintes de rouge qui varient selon le moment de la journée et de l'intensité de la lumière.
La visite commence par l'entrée dans ces entrailles, une volonté de l'artiste. Comme pour mieux perturber le visiteur... qui se trouve confronté à lui-même dans un espace où il n'a plus aucun repère.

Intérieur

Kapoor
Kapoor © CL
"La couleur joue un rôle essentiel dans cette oeuvre. De ce point de vue, ce travail constitue pour moi une sorte d'expérimentation : celle d'un monochrome qui englobe tout, dans lequel on est plongé, comme en immersion. C'est comme si la couleur trempait le spectateur jusqu'aux os. la couleur fait ainsi partie intégrante de l'expérience", indique Anish Kapoor.

Anish Kapoor sous la Nef du Grand Palais

Kapoor
Kapoor © Photo Farida Bréchemier - Monumenta 2011
Né en 1954 à Bombay (Inde), Anish Kapoor grandit au sein d'une famille aisée entre un père indien et athée et une mère d'origine juive irakienne.
Il débarque à Londres en 1973 pour suivre des études d'art. Aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands sculpteurs vivant, son oeuvre fascine autant l'amateur d'art éclairé que le grand public. Il compte de nombreux prix et distinctions, dont le prix Turner, principale récompense pour l'art contemporain en Grande-Bretagne.

Marsysas à la Tate Modern, Londres

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Kapoor © Photo : John Riddy. Courtesy : Tate. ©Anish Kapoor
Sa première collaboration avec le fabricant Serge Ferrari, Marsyas. Cette oeuvre de 150 m de long et 40 m de haut est destinée à la Tate Modern de Londres en 2002.
"Notre pierre à l'édifice fut alors de comprendre et concevoir la couleur qu'il souhaitait. Cette donnée étant capitale dans les oeuvres monumentales car s'imposant comme la première sensation que nous avons de l'oeuvre. La technologie Précontraint, offrant une stabilité dimensionnelle mesurée et maîtrisée, a également permis de respecter la géométrie très complexe de l'oeuvre", explique Françoise Fournier, responsable marché Architecture chez Ferrari.