Regain d'inquiétude chez les architectes. Diffusée la semaine dernière en exclusivité dans l'ensemble des ministères, la troisième version du projet d'ordonnance transposant les directives européennes sur les marchés publics met en péril la maîtrise d'œuvre et l'obligation de concours. Mais ce n'est pas tout, la clarification des contrats globaux, les marchés de partenariat et les offres anormalement basses (OAB) sont aussi dans le viseur. Détails et réactions.

Même si la troisième version du projet d'ordonnance transposant les directives européennes sur les marchés publics diffusée en interne la semaine dernière à tous les étages des ministères par la Direction des affaires juridiques de Bercy est loin d'être actée, les toutes dernières mesures sèment la panique notamment chez les professionnels de l'architecture.

 

 

Et malgré une série de rencontres ces derniers mois avec la Direction des affaires juridiques de Bercy, le Conseil national de l'Ordre des architectes et l'UNSFA s'inquiètent toujours des contours d'un projet d'ordonnance qui souhaite avant tout transposer la directive européenne sur les marchés publics et notamment supprimer l'obligation du concours d'architecte. Mais ce n'est pas tout, cette nouvelle mouture de 56 pages dévoilée dans Les Echos, -la 2014/24/UE dédiée aux secteurs classiques et la 2014/25/UE consacrée aux services spéciaux- donne la feuille de route pour les sujets épineux suivants : l'accord autonome du contrat de partenariat ; l'absence du concours d'architecte ; le recours à l'évaluation préalable dans le cadre d'un marché de partenariat ; les marchés globaux désormais classés en trois parties distinctes ; le paiement différé ; l'introduction de la notion d'offre anormalement basse (OAB) et enfin le seuil des PPP.

L'accord autonome du contrat de partenariat

Cet accord, indépendant du contrat de partenariat, permettant de sécuriser le financement apporté par les établissements prêteurs en cas de recours en annulation de ce dernier est notamment discuté dans l'article 81 bis de la troisième version du projet d'ordonnance. Désormais, le futur texte stipule que "le marché de partenariat peut prévoir une clause indemnitaire spécifique, réputée divisible du contrat, ou un accord indemnitaire distinct permettant au titulaire, en cas d'annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge, de prétendre, après déduction des éventuelles pénalités, des réfactions (Ndlr: réductions de prix) résultant de ses manquements contractuels, du préjudice subi par la personne publique et de toute autre somme prévue par les parties…"

L'absence du concours d'architecte

Malgré les trois "rencontres infructueuses" du CNOA et des syndicats des architectes, l'UNSFA réalisées en début d'année à la Direction des affaires juridiques de Bercy, l'administration reste formelle sur ce point, n'intégrant pas le recours au concours d'architecte par les maîtres d'ouvrage.

 

"La disparition de l'obligation du concours est extrêmement inquiétante pour notre profession, car ce concours, obligatoire au-dessus du seuil européen* de procédure formalisée, permet une concurrence qualitative et ouverte des équipes ainsi qu'une maîtrise du projet par les responsables publics, nous répétait Catherine Jacquot, présidente du CNOA, en février dernier. Je répète, par ailleurs, que le concours favorise également l'émulation d'une maîtrise d'œuvre autonome et compétitive, condition essentielle au maintien de la qualité architecturale du cadre bâti."

 

Pour rappel : le Code des marchés publics actuel impose la procédure de concours au-dessus du seuil déclenchant la procédure formalisée (Ndlr : article 74). Or, ce projet d'ordonnance relative aux marchés publics ne répond pas à ces objectifs, selon le CNOA et l'UNSFA.

Clarification des contrats globaux

La troisième version du document divise désormais les marchés globaux en trois parties distinctes : les marchés publics de conception-réalisation, les marchés publics globaux de performances et les marchés publics globaux sectoriels. Si pour la FFB ou la FNTP, la clarification des marchés globaux va dans le bon sens, les inquiétudes subsistent chez les architectes.

 

"Ce point sensible remet en cause les principes de la commande publique française d'architecture et de la loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d'ouvrage publique et porte ainsi atteinte à l'indépendance de la maîtrise d'œuvre, nous signalait Catherine Jacquot, présidente du CNOA. En intervenant sur le champ de la loi MOP et de la loi Boutin nous pensons que l'ordonnance sort du champ d'habilitation imposé par la loi du 20 décembre 2014."

L'évaluation préalable au marché de partenariat

L'article 69 du projet de texte en cours, signale toujours que
"l'évaluation préalable est soumise pour avis à un organisme expert créé par voie réglementaire, à l'exception de l'étude de soutenabilité budgétaire qui est soumise pour avis au service de l'Etat compétent."

 

"Si les articles du projet d'ordonnance imposent un recours à une évaluation préalable dans le cadre d'un marché de partenariat, l'article 69 en impose un contrôle par l'Etat", nous précisent la FFB et la FNTP. Ce dernier article pourrait aller à l'encontre du principe de libre administration des collectivités territoriales, par l'article 72 de la Constitution. A suivre, rien n'a bougé.

Le paiement différé

La proposition d'un paiement différé dans le cas des marchés publics suit son chemin. L'article 51 du nouveau document précise qu'en "cas de marché global ayant pour objet la réalisation et l'exploitation ou la maintenance d'un ouvrage, la rémunération des prestations d'exploitation ou de maintenance ne peut contribuer au paiement de la construction."

 

L'introduction de la notion d'offre anormalement basse (OAB)

L'introduction de l'article 45 bis à propos de l'introduction de la notion d'offre anormalement basse (OAB) va dans le bon sens pour la FNTP et la FFB. "Absent des précédentes versions de l'ordonnance, l'article 45bis a fait son apparition, nous décrypte Alain Piquet, président de la commission marchés de la FFB. Et il est clairement demandé une obligation de détection de l'OAB."

 

Se son côté, Sabine Basili, vice-présidente de la Capeb nous avait confié en février dernier que son organisation alertait Bercy "sur la détection et le rejet des offres anormalement basses, ou la conservation du quart réservataire et le droit de préférence."
Et de préciser: "L'allotissement est une mesure clé dans ce domaine, comme la lutte contre les offres anormalement basses qui contribuent à totalement déstructurer le secteur.

 


En clair dans le nouveau texte : "Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions fixées par voie réglementaire."

La suppression du seuil minimal des PPP

La suppression du seuil minimal pour recourir aux marchés de partenariat, nouveaux noms des "partenariats public-privé" reste le seul point acquis, s'accordent à dire l'ensemble des professionnels du bâtiment. C'est le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, qui l'avait confirmé à l'Assemblée générale de la Fédération nationale des travaux publics le 9 avril dernier. Si ce seuil minimal évalué jusqu'à aujourd'hui à 50 millions d'euros est bel et bien "tombé" à Bercy, ces marchés de partenariat pourront, d'après la nouvelle ordonnance, donner lieu à des avances et acomptes. "Une indemnité spécifique en cas d'annulation, de résolution ou de résiliation du contrat pourrait être aussi prévue directement dans le marché de partenariat", nous précise-t-on.

 

Désormais, la troisième version du projet d'ordonnance transposant les directives européennes sur les marchés publics doit être validée au Conseil d'Etat en mai prochain avant que les premiers décrets d'applications entrent en vigueur à la fin de l'année. "Au final, la directive européenne sur les marchés publics doit être entérinée en avril 2016, le temps est compté", nous confirme une source proche du dossier. De son côté, le ministère de l'Economie et de l'Industrie, interrogée ce mercredi 29 avril précise bien qu'il s'agit d'un "timing prévisionnel, mais c'est l'objectif", en notant qu'aucune assurance que le texte soit transmis au Conseil d'Etat en mai prochain...

 

*DPA: Défense protection architecte, SFA: Societé française des architectes.
* Le seuil européen de procédure formalisée : pour les services 207.000 euros (marchés des collectivités locales), 134.000 euros pour les marchés de l'Etat et 5,186 millions d'euros pour les marchés de travaux

Découvrez dès la page 2, les réactions partagées des professionnels du secteur du bâtiment et de l'architecture.

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