L'Académie des Beaux-Arts exige à son tour, ce lundi 24 octobre, l'abrogation du décret du 30 mai 2016, relatif aux travaux embarqués sur bâtiments existants, notamment ceux d'isolation par l'extérieur (ITE) lors de travaux de ravalement. Face à la polémique qui gronde depuis plusieurs mois, le ministère prévoirait un décret modificatif, plus explicite. Que dit vraiment le texte ?

Ce lundi, l'Académie des Beaux-Arts rejoint le concert de voix qui s'est élevé contre le décret du 30 mai 2016, relatif aux travaux embarqués sur bâtiments existants, demandant son abrogation pure et simple, qualifiant le document réglementaire de "danger pour les constructions de notre pays."

 

 

Ce décret, relatif aux travaux embarqués sur bâtiments existants, rend les travaux d'isolation obligatoires sous conditions. Le texte précise ainsi, qu'en cas de travaux de ravalement de façade, de réfection de toiture ou d'aménagement de locaux en vue de les rendre habitables, des travaux d'isolation doivent être réalisés simultanément. L'entrée en vigueur de cette mesure est fixée au 1er janvier 2017.

 

Tollé des associations du patrimoine et des architectes

 

Sa publication a provoqué un tollé de nombreuses associations pour la sauvegarde du patrimoine et des architectes, notamment le CNOA. En cause : l'obligation dans certains cas de procéder à une isolation par l'extérieur en cas de ravalement de façade. Pour ces défenseurs du patrimoine, la seule exclusion explicite prévue par le texte concernant les bâtiments inscrits aux Monuments historiques - article R131-25 - ne suffit pas : "Cette précision sur les exclusions indique donc que tous les autres bâtiments sont soumis à ce décret", déclare ainsi encore l'Académie des beaux-Arts ce lundi 24 octobre. Le texte mettrait en danger le patrimoine architectural français en le dénaturant, en imposant en outre une technique non adaptée dans certains cas, qui peut donc potentiellement mettre en danger l'édifice.

 

Dans son communiqué de ce lundi, l'Académie précise : "La mise en place d'une isolation implique que celle-ci soit protégée, sur sa face intérieure par un pare-vapeur pour éviter la condensation au sein de l'isolation (…) Il est démontré que sur les constructions anciennes traditionnelles, ce dispositif a un effet désastreux (…) C'est donc la disparition lente annoncée de tous ces bâtiments qui font la richesse de la France et de ses paysages (Maisons en pan de bois dans les villes et les campagnes, enduits à la chaux traditionnelle, etc.)".

 

Le décret prévoit des dérogations

 

Plusieurs dispositions du décret sont pourtant explicites quant aux dérogations possibles et semble poser des garde-fous : l'article R131-28-29 indique bien que les dispositions ne sont pas applicables, s'il y a un risque de pathologie du bâtiment par exemple, si les travaux modifient l'aspect de la construction ou encore, s'il y a disproportion manifeste entre le gain espéré et la dégradation architecturale du bâtiment (cf ci-dessous).

 


"Les dispositions des articles R. 131-28-7 et R. 131-28-8 [obligation d'isolation pour les parois et la toiture, NDLR] ne sont pas applicables dans les cas suivants :

 

1.Il existe un risque de pathologie du bâti liée à tout type d'isolation. Le maître d'ouvrage justifie du risque technique encouru en produisant une note argumentée rédigée par un homme de l'art sous sa responsabilité ;

 

2.Les travaux d'isolation ne sont pas conformes à des servitudes ou aux dispositions législatives et réglementaires relatives au droit des sols, au droit de propriété ou à l'aspect des façades et à leur implantation ;

 

3.Les travaux d'isolation entraînent des modifications de l'aspect de la construction en contradiction avec les prescriptions prévues pour les secteurs sauvegardés, les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine, les abords des monuments historiques, les sites inscrits et classés, ou avec les règles et prescriptions définies en application des articles L. 151-18 et L. 151-19 du code de l'urbanisme ;

 

 

4.Il existe une disproportion manifeste entre les avantages de l'isolation et ses inconvénients de nature technique, économique ou architecturale, les améliorations apportées par cette isolation ayant un impact négatif trop important en termes de qualité de l'usage et de l'exploitation du bâtiment, de modification de l'aspect extérieur du bâtiment au regard de sa qualité architecturale, ou de surcoût.

 

II.Sont réputées relever de la disproportion manifeste au sens du 4° du I les situations suivantes :

 

1.Une isolation par l'extérieur dégraderait significativement la qualité architecturale. Le maître d'ouvrage justifie de la valeur patrimoniale ou architecturale de la façade et de la dégradation encourue, en produisant une note argumentée rédigée par un professionnel mentionné à l'article 2 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture [un architecte, NDLR] ;

 

2.Le temps de retour sur investissement du surcoût induit par l'ajout d'une isolation, déduction faite des aides financières publiques, est supérieur à dix ans. L'assiette prise en compte pour calculer ce surcoût comprend, outre le coût des travaux d'isolation, l'ensemble des coûts induits par l'ajout d'une isolation. L'évaluation du temps de retour sur investissement s'appuie sur une méthode de calcul de la consommation énergétique du bâtiment référencée dans un guide établi par le ministre chargé de la construction et publié dans les conditions prévues à l'article R. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration.

 

Le maître d'ouvrage justifie du temps de retour sur investissement soit en produisant une note réalisée par un homme de l'art sous sa responsabilité, soit en établissant que sa durée est supérieure à dix ans par comparaison du bâtiment aux cas types référencés dans le guide mentionné au précédent alinéa."Article R131-28-9 du Code de la construction, issu du décret du 30 mai 2016

 

Rémi Desalbres, président de l'Association des Architectes du Patrimoine (AAP), nous précisait fin septembre : "Il est important d'introduire un travail de diagnostic réalisé par le concepteur en amont des travaux, comme c'est le cas aujourd'hui pour les architectes appelés à travailler sur l'existant. Or, le décret en question n'en fait pas mention". Avant d'ajouter : "Le décret permet pas mal de choses, mais s'il prévoit l'intervention d'un architecte en cas de dérogation, pour autant celui-ci n'est pas consulté au moment des travaux."

 

Vers une réécriture du texte ?

 

La nécessaire rénovation énergétique des bâtiments n'est pas remise en cause par les professionnels, mais elle ne doit pas se faire selon eux aux dépens de l'architecture et dénaturer les constructions qui font l'histoire de notre pays. Pour y remédier, la présence d'un architecte dès le diagnostic, doit être obligatoire, notamment lorsqu'il s'agit d'isolation par l'extérieur.

 

Face à la fronde des associations et après les avoir rencontrées , la ministre de l'Environnement Ségolène Royal, a émis la possibilité de réécrire le texte réglementaire pour rassurer les professionnels. Une position que dénoncent d'ores et déjà les associations de protection de l'environnement, comme le Réseau pour la transition énergétique CLER et France Nature Environnement, qui affirmaient dans un communiqué commun le 6 octobre dernier, que cette réécriture du décret serait un "affaiblissement de son ambition".

 

Ainsi, Joel Vormus, du CLER précisait, "alors que le décret travaux embarqué prévoit les mesures de protection du patrimoine bâti ancien, la peur du changement remet en cause ce texte et par là même la principale ambition de la loi de transition énergétique de réduction de nos consommations d'énergie."

 

Le ministère de l'Environnement en première ligne

 

De leur côté, les architectes, par la voix du CNOA, invitent également la ministre à une réécriture du texte par le biais d'un communiqué publié sur son site.
"Lors de la rédaction du décret, le Conseil national avait lui aussi alerté les services du Ministère de l'Ecologie sur l'importance de confier à un maitre d'œuvre indépendant la réalisation d'un diagnostic global avant de procéder à des travaux d'isolation par l'extérieur. (...) Si le Conseil national considère l'isolation par l'extérieur particulièrement bien adaptée pour les maisons individuelles de type pavillonnaire et certains types de logements collectifs, il regrette que ce procédé technique ait été rendu obligatoire par la loi pour tout type de bâtiment au détriment d'autres solutions pertinentes, comme les isolants minces."

 

La balle est désormais dans le camp de Ségolène Royal. Les dispositions du décret du 30 mai 2016 doivent s'appliquer à partir du 1er janvier 2017.

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