Prévue en avril dernier, l'inauguration de la Bibliotheca Alexandrina s'est déroulée le 16 octobre. L'édifice, de taille pharaonique, se place dans la continuité entre le passé et l'avenir, entre l'ouvrage antique et la réalisation hautement technologique.

Sous le soleil légendaire de la Basse Egypte, un nouveau disque est né. Hommage au symbole du Dieu Râ, le dieu-soleil, la nouvelle Bibliothèque d'Alexandrie (BA) représente la promesse du retour de l'Egypte sur la scène internationale de la culture. Deux données en attestent. D'abord, la dimension de la salle de lecture fait de cette dernière la plus grande du monde : près de 70.000m² répartis sur sept étages. D'autre part, le statut particulier de son directeur. Ismaïl Serageldin, Egyptien, docteur de Harvard et consultant de la Banque Mondiale avait exigé, pour mener à bien cette tâche, d'être doté d'une indépendance totale. Une loi spéciale a été votée par le Parlement faisant de la BA un organisme ne dépendant que de la Présidence. Un décret, ajouté par le raïs permet également que soit nommées des sommités internationales dans le conseil d'administration. Cette situation de quasi-extraterritorialité permet à la BA de ne pas se soucier de la censure, étatique ou islamiste, qui fait régulièrement interdire des ouvrages égyptiens ou étrangers.

La vocation internationale de la BA tient à son histoire, à sa légende. Bien que située à une centaine de mètres de l'emplacement de la mythique bibliothèque, elle veut en prendre la relève. Un petit retour en arrière éclairera cette perspective.
Après sa conquête de l'Egypte, au détriment des Perse, Alexandre le Grand décida d'ériger une ville à son nom. Ce sera Alexandrie. Les travaux commencent en 331 avant J.C., et seront continués par le lieutenant du conquérant, Ptolémée Sôtêr, qui récupère les rênes du royaume après la mort de son chef, huit ans plus tard. C'est lui qui ébauche le projet d'une bibliothèque, sur le modèle de celle d'Aristote à Athènes, mais ce sera son fils, Ptolémée II qui mènera à bien ce projet. Après, l'histoire est connue : la plus grande bibliothèque du monde méditerranéen, sans doute entre 400.000 et 700.000 papyrus, sera brûlée une première fois par César, en 48, et ses ouvrages, recueillis pour partie dans un temple, seront eux aussi brûlés lorsque ce dernier sera le jouet des flammes à son tour en 931.

Mythique avant même sa conception, cette nouvelle BA fut l'objet d'un concours international, qui draina 524 projets, succès en soi qu'explique autant la dimension symbolique du projet que la renommée des institutions qui le soutiennent : l'UNESCO, le PNUD et l'UIA. Finalement, le prix a été remporté en 1989 par la société norvégienne Snohetta, qui a su le mieux combiner les aspects esthétiques, fonctionnels et symboliques.
Conçue dans le cadre du développement culturel et doté des instruments technologiques les plus modernes, la BA cible avant tout un public de chercheurs, puis d'étudiants. Selon Suzanne Moubarak, qui a supervisé le projet, elle doit être un centre international avec quatre fonctions : donner accès aux merveilles scientifiques, littéraires et artistiques des cultures méditerranéennes et mondiales, être une fenêtre ouverte pour le monde entier sur la civilisation de l'Egypte, offrir une collection unique de manuscrits et être à la pointe de l'information, et constituer un lieu de rencontre entre cultures du monde entier, promouvoir la paix, le dialogue et la tolérance. La BA aurait due être inaugurée le 23 avril 2002, mais la cérémonie fut repoussée au 16 octobre en raison du contexte proche : le conflit israélo-palestinien ne permettait pas d'assurer la sécurité des nombreux invités attendus sur le tarmac de l'aéroport international du Caire.

Cathédrale du développement

Concrètement, l'édifice, situé au bord de lamer, a la forme d'un long cylindre de 160 mètres de diamètre, tronqué en biseau. Le site accueille également des musées, des salles de conférences et un planetarium, conçu par la société française Laubeuf, pouvant accueillir dans sa bulle de 18 mètres de diamètres 99 personnes pour des projections de films astronomiques.
Des onze étages, seuls sept sont visible depuis l'extérieur, les quatre autres se trouvant sous le niveau du sol. L'inclinaison du toit permet aux niveaux supérieurs de bénéficier d'un éclairage naturel et d'atténuer les effets d'embruns. L'architecture intérieur répond à l'idée de communication entre les peuples. Les murs, en roches de granits extraites au Zimbabwe, oxydées pour ne pas changer de couleur, et en pierres d'Assouan, pour empêcher la chaleur de rentrer, sont recouvertes d'inscriptions. Ce sont les différentes écritures connues dans le monde, depuis l'arabe jusqu'à la chinoise, en passant par les caractères cyrilliques, hébreux et latins. La BA se pose en temple du savoir universel, ou en " cathédrale du développement ", dont parlait Nehru.

D'ailleurs, le logo de la BA illustre cette dynamique. Associant le soleil levant, la mer et le phare, il conjugue les idées de lumière du monde, continuité entre le passé et le présent, d'ouverture portuaire et de guide. Le phare d'Alexandrie étant considéré comme l'une des sept merveilles du monde.

La répartition des ouvrages en libre accès, au nombre de 60.000, n'est pas non plus le fruit du hasard. Au rez-de-chaussée se trouvent les ouvrages relatifs à la religion, considérée comme la base de la culture. Puis, en montant, on trouvera la littérature, les beaux-arts, la médecine, les sciences, la sociologie pour finir au " septième ciel " avec l'informatique et la technologie de l'information. Au quatrième étage, on atteint la science fiction. Les clignotants lumineux de 200 serveurs informatiques donne l'impression de se trouver dans un vaisseau spatial. En réalité, il s'agit de la plus grande bibliothèque numérique du monde, don d'une valeur de 5 millions de dollars fait par l'Internet Archive de Californie. Sont rassemblées près de 10 milliards de pages Web (1996-2001), provenant de 16 millions de sites.

Ce joyau de la culture aura finalement coûté plus de 121 millions de dollars pour les seuls bâtiments de la Bibliotheca, 20 autres millions pour l'équipement. 182 millions auront été déboursés par le gouvernement égyptien pour le terrain, la salle de conférences et les consultants. A ces 323 millions doivent être ajoutés les 31 qui ont servis à l'achat des livres.
Malgré les critiques formulées depuis le lancement du projet, notamment par des archéologues reprochant l'absence de fouilles sérieuses sur le site, la BA devrait être un succès et permettre aux étudiants égyptiens de rester dans le pays pour poursuivre leurs études supérieurs.

Un bémol toute fois, formulé par le directeur lui-même. " On ne fera jamais la Bibliothèque du Congrès, à Washington, avec un budget de fonctionnement de 435 millions de dollars, alors que nous en aurons 20 à 25 millions. "

Sites à consulter :
www.bibalex.gov.eg, le site officiel de la bibliothèque (la partie en français est en construction)
www.alex4all.com, le site de la ville d'Alexandrie
www.snoarc.no/siteold.html, pour des photos du site et de la construction

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