ECOLOGIQUE. L'herbe est une ressource annuelle, disponible en vastes quantités qui n'est pas suffisamment valorisée. Partant de ce constat, l'entreprise Gramitherm propose d'en faire des panneaux d'isolants à base de fibres végétales aux propriétés plus qu'intéressantes. Christian Roggeman, son président-directeur général, nous livre ses explications.

La tendance est au biosourcé dans la construction : immeubles en bois, béton de chanvre, ouate de cellulose, algues ou champignons. Toutes les sources de fibres végétales ont été explorées. Toutes ? Un brevet suisse, déposé voilà une dizaine d'années, porte sur l'utilisation d'herbe de prairie pour obtenir des panneaux isolants performants. Christian Roggeman, le dirigeant de Gramitherm, nous explique : "L'herbe est une ressource disponible en grandes quantités qui peut se valoriser en deux fractions : une phase liquide, qui servira de combustible après méthanisation ou de protéines de complément pour l'alimentation animale, et la phase solide, qui contient les fibres, jusqu'ici non valorisées".

 

 

Cette matière première, coupée sur pied puis récoltée est ensilée (stockée en silo) où une réaction chimique anaérobique la fige. "Le brevet porte sur le défibrage puis le traitement anti-feu, avec de très faibles quantités de sel de bore. Puis les fibres sont nettoyées, séchées et mélangées avec des fibres de liaison, à base de carbone ou d'amidon. Enfin, le tout est compacté afin d'obtenir l'épaisseur souhaitée puis thermoformé au four, avant d'être découpé en panneaux", nous révèle le président-directeur général. Les produits obtenus, d'une épaisseur variable entre 45 et 240 mm selon l'emploi souhaité (cloison intérieure ou isolation des combles), peuvent ainsi revendiquer une composition d'au-moins 90 % de fibres végétales, voire 100 % de fibres naturelles et une énergie grise très faible. L'université de Zurich, qui a réalisé l'analyse du cycle de vie, certifie même que le bilan carbone est négatif. Selon la société, un kilo de produit mis sur le marché absorberait l'équivalent de 1,5 kg de CO2, grâce à la croissance rapide de l'herbe qui fixe du gaz carbonique.

 

Aussi bien que le chanvre

 

Du côté des performances, l'herbe n'a pas à rougir : "Nous avons un produit qui est un bon généraliste : pas le meilleur dans l'absolu, mais avec globalement de bonnes caractéristiques", résume Christian Roggeman. Le lambda, valeur étalon de l'isolation, a été mesuré à 0,038 W/m.K, ce qui le place au-dessus de certaines applications du chanvre. "Les panneaux ont une très bonne stabilité dans le temps et un bon comportement face à l'humidité, ce qui est une caractéristique intéressante. Et surtout, la structure de la fibre et sa qualité après défibrage en font un excellent absorbant phonique, ce qui en fait un compagnon idéal pour la construction bois", énumère le président de Gramitherm. Les panneaux, dont la durée de vie est estimée à 50 ans, sont de plus entièrement recyclables ou biodégradables. Le dirigeant assure : "La mise en décharge ne pose aucun souci, tout comme la réintégration de panneaux en fin de vie dans un produit neuf. En phase de production nous récupérons d'ailleurs toutes les chutes. C'est vraiment un exemple parfait d'économie circulaire".

 

En Suisse, où ce produit a été développé, les panneaux bénéficient déjà d'un retour d'expérience concluant sur une dizaine d'années. De nombreuses constructions ont été isolées avec de l'herbe de prairie, qu'il s'agisse de maisons individuelles ou de petit collectif comme de bâtiments tertiaires, écoles ou mairies. "En tout, 10.000 m3 ont été posés, principalement en rénovation", nous annonce le patron de Gramitherm. "Le produit a été imaginé pour de l'isolation par l'intérieur, mais on peut également l'employer en ITE pour du résidentiel, sous un bardage protecteur, du moment qu'on applique les règles de l'art", poursuit-il. La pose ne présentera aucune difficulté particulière, le produit se découpant même plus facilement que des fibres plus dures comme celles du chanvre. Avantage en sus, "il ne produit pas de poussière irritante", note Christian Roggeman, qui insiste sur le confort de travail.

 

 

Herbe verte et matière grise, les ingrédients de la rénovation thermique

 

La production, réalisée en France par un sous-traitant dans les Hautes-Alpes, est encore confidentielle : 2.000 mètres cubes en 2016, avant que des soucis financiers ne viennent perturber les choses en 2017. Pour 2018, l'entreprise s'est assurée de la poursuite du projet avec le repreneur de l'usine et espère sortir entre 6.000 et 8.000 m3 d'isolants à base d'herbe de prairie. "Nous aimerions bien pouvoir intégrer la production et développer une filière complète de valorisation de cette herbe naturelle, dans le cadre de l'économie circulaire", avoue le p-dg. Des contacts sont d'ores et déjà pris au Canada, en Irlande et aux Pays-Bas. Là-bas, le port d'Amsterdam dispose d'un gigantesque gisement de ressource : à lui seul, il récolte 100.000 tonnes de biomasse par an ! Soit de quoi produire 400.000 m3 de Gramitherm… "Sachant que le marché européen des biosourcés est de 1,5 million de mètres cubes, on se rend compte de toutes les possibilités", fait valoir le dirigeant. Aéroports, exploitants d'autoroutes ou coopératives agricoles, les sources d'herbes sont en fait innombrables sur le territoire. Christian Roggeman nous livre un dernier chiffre : "Un hectare de prairie produit, au minimum 250 m3 de produits finis soit de quoi isoler 2.500 m² sur 10 cm d'épaisseur". La rénovation thermique a-t-elle trouvé sa matière première ?

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