ENERGIES RENOUVELABLES. Le gouvernement semble décidé à renégocier à la baisse les tarifs de l'éolien en mer en remettant en cause les parcs déjà attribués par l'Etat en 2012 et 2014. Une menace sur toute la filière que dénoncent les industriels de l'énergie et de la construction navale, qui rappellent également l'impact sur l'emploi qu'aurait un tel revirement. Analyse.

"Croire que l'on peut arrêter et relancer des projets éolien en mer sans créer de dommages pour l'ensemble de la filière est illusoire. Leur remise en cause mettrait en péril les plans industriels que l'Etat appelait de ses vœux et les emplois associés", avertit Jean-Louis Bal, le président du Syndicat des énergies renouvelables, dans un appel conjoint à la sauvegarde de cette filière émergente, avec le Cluster maritime français et le Gican, des groupements d'industriels de construction et activités navales. Pourtant, Edouard Philippe pourrait décider très prochainement, de prendre une décision rétroactive sur les six premiers projets attribués en 2012 et 2014. "Une négociation va s'engager dans les prochains jours avec l'ensemble des lauréats pour faire baisser les coûts des différents projets", précise à 'AFP le ministère de la Transition écologique, qui prévient : "C'est à la lumière des propositions des professionnels que nous prendrons nos décisions, au plus tard en juillet".

 

 

Ce qui est en cause ? Le tarif négocié à l'époque, aux alentours de 200 €/MWh, et que le gouvernement souhaite réduire, compte tenu des progrès réalisés depuis. En se basant sur les prix pratiqués dans les autres pays d'Europe, le ministère attend "des baisses de tarif très significatives", évoquant une rétribution de l'ordre de 80 €/MWh. Les industriels notent toutefois que comparaison n'est pas raison dans le domaine : les caractéristiques de vent, les conditions de mer et la nature ou profondeur des fonds marins ne sont pas les mêmes en mer du Nord qu'en Manche ou sur la façade Atlantique. Le SER évalue : "Une différence de vitesse de vent de 1 m/sec génère une différence de productible de 15 % (soit un surcoût de l'ordre de 25 €/MWh pour les projets français)". Les contraintes seraient donc plus fortes dans l'Hexagone, y compris au point de vue fiscal, puisque le syndicat souligne encore que le mégawattheure français supporte environ 20 € de taxes de plus qu'un MWh au Royaume-Uni. Les professionnels rajoutent qu'en Europe du Nord, le raccordement électrique est financé par les gestionnaires de réseaux, ce qui n'est pas le cas pour les six parcs attribués, et que dans ces pays, les procédures sont plus simples et moins longues (entre 4 et 5 ans contre près du double en France), ce qui a pour effet de provoquer un grand décalage entre l'attribution et l'entrée en service des installations, désormais prévue pour 2023-2025. Au final, le SER estime que toutes les différences avec nos voisins renchérissent les tarifs des projets français d'environ 50 à 60 €/MWh par rapport aux projets anglais notamment. Contactée, Marion Lettry, déléguée générale du SER, nous précise : "Il est difficile de comparer des projets français de 2011 avec des projets étrangers attribués en 2018 et qui seront réalisés en 2025. Les 80 €/MWh annoncés sont des prix réalistes mais pour des projets d'aujourd'hui, pas d'il y a 10 ans". A noter que deux autres appels d'offres sont actuellement en suspens : ceux de Dunkerque et de l'île d'Oléron, dont les conditions évolueront sensiblement, notamment par rapport aux coûts de raccordement, qui seront cette fois pris en charge par le réseau de transport d'électricité.

 

Les lauréats prêts à discuter calmement

 

Pour l'heure, les industriels lauréats, EDF (trois parcs), Engie (deux) et Iberdrola (un) se disent tous prêts au dialogue : EDF Energies Nouvelles indique "rester dans une démarche d'ouverture à la négociation pour chacun des trois projets de parcs éoliens en mer", Engie qui estime que cette énergie offshore "a de l'avenir en France", souhaite "trouver des solutions avec l'Etat", tandis qu'Iberdrola indique avoir "toujours répondu favorablement" aux demandes de concertation. Toutefois, le gouvernement prévient déjà que si les prix réclamés restaient "trop importants" alors les appels d'offres seraient tout bonnement relancés, par amendement du décret. Le ministère de la Transition annonce : "Il ne s'agirait pas d'annuler les projets, mais de permettre leur évolution". Même s'il souhaite toujours développer les renouvelables, il entend éviter "une dépense publique excessive pour les Français". Déjà au mois de mars dernier, il avait tenté de déposer un amendement dans le cadre de la loi "Pour un Etat au service d'une société de confiance", qui avait été rejeté par le Sénat. Un texte qui avait déjà suscité l'émoi des industriels qui ont, depuis, publié des chiffres sur les investissements déjà consentis et les emplois déjà créés.

 

 

Le président du SER rappelle : "Les régions littorales - Bretagne, Normandie et Pays de la Loire - se sont massivement mobilisées pour accueillir cette énergie marine dont elles attendent de nombreuses retombées économiques. Elles ont déjà investi plus de 600 M€ pour la naissance de cette nouvelle filière en actions de R&D et dans leurs infrastructures portuaires". Le syndicat souligne l'importance des montants déjà engagés par les consortiums industriels lauréats auprès d'entreprises de premier rang (General Electric-Alstom, Siemens-Gamesa) et des sous-traitants français (STX, Eiffage, Bouygues, Rollix Defontaine). Des usines destinées à équiper ces fermes offshores sont construites ou en passe de l'être pour assembler des nacelles, des turbines ou produire des pales géantes. Selon les estimations de la filière, la réalisation des six parcs en mer permettra la création de plus de 15.000 emplois : 3.000 au Havre, 2.500 à Nantes, 1.200 à Cherbourg, plus tout un ensemble d'entreprises nécessaires à la production des fondations, des câbles ou des sous-stations électriques (soit 7.000 postes). L'exploitation-maintenance des six fermes, pendant leurs 25 années de fonctionnement, assureront également la pérennité de 650 emplois dans les bases portuaires (Dieppe, Le Tréport, Ouistreham, Fécamp, Noirmoutier, La Turballe…). Enfin, l'aspect développement et ingénierie mobilise déjà 400 personnes.

 

Evaluation des coûts et soutiens publics par le SER :
Prix d'achat moyen de l'électricité éolienne (hors raccordement) : 190-194 €/MWh
Prix de marché de l'électricité de gros : 53,7 €/MWh estimés en 2023 ; 94,2 €/MWh en 2043
Nombre d'heures de fonctionnement : 3.500 heures/an
Production annuelle : 10,2 TWh (pour six parcs de 2.916 MW de puissance)
Taxes et impôts : 70 M€/an pendant 25 ans (soit 1,75 Mrd €)
Coût total pour le budget de l'Etat : 12,4 Mrds €

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