En plein travail sur les objectifs de l'Union européenne pour le climat et l'énergie en 2030, la Commission européenne est en proie à des luttes d'influence entre Etats et lobbies. Entre ambitions limitées et propositions plus audacieuses, Batiactu lève le voile sur les coulisses de ces tractations.

"L'Union européenne devrait presque atteindre son objectif de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre avec -18 ou -19 % à la fin de la décennie. Il faut maintenant porter le regard au-delà de 2020, car le potentiel de réduction est encore immense", déclarait, à la fin juin, Günther Oettinger, le commissaire européen à l'énergie. Plusieurs scénarios ont été envisagés : un projet de texte envisageait de limiter l'objectif en matière d'efficacité énergétique à seulement -25 %, suscitant la colère des élus Verts, tandis que le Parlement européen avait, de son côté, adopté une résolution sur des objectifs contraignants à -40 %.

Un problème encore peu pris au sérieux

Divers lobbies et groupes d'intérêts sont mobilisés depuis des mois afin de faire évoluer les lignes. Parmi ceux-ci, EuroACE (European Alliance of companies for energy efficicency in buildings), une association qui plaide pour l'efficacité énergétique européenne, regroupant ONG et industriels, dont Knauf Insulation. Tony Robson, le p-dg du groupe, nous explique : "L'efficacité énergétique est un problème critique qui n'est toujours pas pris suffisamment au sérieux. Les objectifs de réduction des consommations indicatives de -27 % seulement ne sont qu'une proposition pour le moment mais Knauf Insulation essaie d'influencer les instances. Oui, nous en tirerons profit mais c'est la bonne décision pour l'Europe". Le lobby de l'efficacité énergétique compterait, à plein temps, une vingtaine de personnes à Bruxelles, chargées de communiquer auprès des membres de la Commission, principalement autour de la rénovation. "On ne pourra pas atteindre les objectifs fixés avec les seuls 1 % de bâtiments nouveaux qui sont construits chaque année", poursuit Tony Robson. "Il faut réaliser les économies d'énergie dans l'existant, c'est là que se trouve le gisement", assure-t-il. D'autant qu'économiquement, l'incitation à la rénovation énergétique aurait du sens : "C'est un marché local, qui fait travailler des entreprises locales, qui utilisent des produits manufacturés en Europe, pas en Chine", plaide-t-il.

Parler en euros plutôt qu'en kWh/m²/an…

Mais quels sont les freins que rencontrent les partisans de la sobriété énergétique ? "Nous avons un problème, dans le bâtiment, pour définir de façon intelligible la consommation des maisons de la même façon que les litres/km des voitures", estime le p-dg de Knauf Insulation. Même si la réduction de la consommation énergétique s'inscrit dans la logique des choses, il est encore difficile de démontrer qu'un investissement réalisé aujourd'hui permettra de réaliser des économies tout au long de la vie du bâtiment, les temps de retour sur investissement étant considérés comme trop longs. "Si je vois l'intérêt de choisir une maison avec une étiquette énergétique 'B' plutôt qu'une classée 'C', quel est le coût pour moi de passer d'une classe à l'autre ? Et quel est l'intérêt en termes de coûts annuels ? Les euros sont plus parlants que des kWh/m²/an…", explique Tony Robson. Pour lui, l'efficacité énergétique est donc la meilleure façon d'arriver à réduire les consommations et les émissions de CO2. Mais elle resterait pour l'heure un vœu pieu, ne bénéficiant d'aucune mesure concrète. "Un objectif de -35 % rendrait tout plus compétitif, en abaissant la facture énergétique et en créant de l'emploi", assène le p-dg. EuroACE envisage que 2 millions d'emplois directs plus 4 millions de postes indirects, pourraient ainsi être créés sur le Vieux continent. En termes de finances publiques, la réduction de la dépendance énergétique pourrait également être salutaire, permettant d'économiser environ 39 Mrds €/an en 2020 et 78 Mrds €/an dix ans plus tard ! "Mais pour y parvenir, outre un consensus, il faudrait également une stabilité réglementaire assurant de la confiance et permettant une meilleure application", détaille Adrian Joyce, le secrétaire général d'EuroACE, qui pense que le PIB de l'Union européenne y gagnerait 0,7 point de croissance.

Vers un objectif de -30 % en 2030

Les défenseurs de la sobriété se heurteraient également à l'hostilité des énergéticiens, dont le lobby serait beaucoup plus puissant, avec cinq fois plus de moyens mobilisés auprès des instances européennes, nous assure-t-on. "Les particuliers ne sont pas incités à réduire leur consommation par les prix de l'énergie, qui devraient être beaucoup plus haut pour avoir un impact", explique Paul Hodson, directeur de l'unité "Energy Efficiency & Intelligent Energy" à la Commission européenne. Pour lui aussi, le bâtiment sera le secteur clef : selon ses estimations, 75 % du résidentiel nécessiterait une intervention sur son isolation et un remplacement du système de chauffage, souvent inefficace. Autre souci, le montant des investissements à consentir, évalué entre 80 et 160 Mrds € par an… en plus des investissements courants dans la rénovation. Cependant, comme le fait remarquer Claude Turmes, député Vert au Parlement européen, "plus il y aura d'énergie économisée et plus le système électrique sera optimisé, moins les besoins d'investissements dans les réseaux seront importants".

 

La Commission européenne semble finalement s'orienter vers une solution intermédiaire, prônant une recommandation de réduction de -30 %, sans contrainte et donc, sans obligation. L'élu écologiste regrette ce manque d'ambition et l'absence d'objectifs nationaux, estimant que la position et le discours du commissaire Günther Oettinger était vide à propos de 2030. La bataille de l'efficacité énergétique se poursuivra donc jusqu'à ce que le Conseil européen tranche, en octobre prochain.

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