Le Conseil d'administration d'EDF a approuvé l'investissement de plus de 20 milliards d'euros dans la construction de deux réacteurs nucléaires de nouvelle génération à Hinkley Point (Grande-Bretagne). Une aventure risquée qui a déjà provoqué deux démissions et qui soulève l'inquiétude des syndicats de l'électricien. Analyse.

EDF va bel et bien se lancer dans la construction de deux nouveaux réacteurs EPR, en Grande-Bretagne cette fois. Lancé en 2012 et confirmé en octobre 2013, le projet a déjà rencontré de fortes oppositions. Au sein de l'Union européenne tout d'abord, avec l'opposition affichée de l'Autriche et du Luxembourg qui ont dénoncé un soutien trop important accordé à l'industrie nucléaire par le gouvernement britannique, qui était prêt à racheter le courant électrique deux fois plus cher que le prix du marché. Puis au sein du groupe EDF même : Thomas Piquemal, directeur financier avait donné sa démission au mois d'avril, estimant que le projet était au-delà des capacités du groupe. Hier, c'est un administrateur nommé par l'Etat, Gérard Magnin, fondateur d'Energy Cities, qui lui a emboîté le pas. Dans une lettre ouverte il déclare : "Etant administrateur proposé par l'Etat actionnaire, je ne souhaite pas cautionner plus longtemps une stratégie que je ne partage pas". Et il enfonce le clou : "Espérons qu'Hinkley Point n'entraîne pas EDF dans un abîme de type Areva, comme certains le craignent. EDF aurait alors perdu sur tous les tableaux". Les syndicats de l'électricien national (CGT, FO, CFE-CGC) s'inquiètent également du risque que fait peser l'aventure des EPR anglais sur leur entreprise. Suite à la suspension des travaux préparatoires en avril 2015, le groupe avait déjà engagé 1,5 Mrd € non remboursables.

 

 

Des délais à tenir

 

Et les conséquences d'un échec pourraient être encore plus dramatiques, étant donné les sommes qui devront être engagées à l'avenir : 18 milliards de livres, soit plus de 21,3 Mrds €. Dans un bref communiqué, EDF explique : "Le projet Hinkley Point C représente un élément majeur de la stratégie CAP 2030 du groupe. Les deux réacteurs EPR à Hinkley Point permettront de consolider la présence d'EDF en Grande-Bretagne, pays dans lequel sa filiale EDF Energy exploite déjà quinze réacteurs nucléaires et est le premier fournisseur d'électricité en volume". L'énergéticien français compte sur une performance économique très élevée : il anticipe un excédent brut d'exploitation de 3 Mrds €/an à partir de 2026, date d'entrée en service putative de la tranche C de la centrale. Soit une rentabilité de 9 % si tout se passait bien.

 

Cependant, les précédentes expériences de chantiers de réacteurs EPR n'incitent pas forcément à la confiance. En France, celui de Flamanville (Manche), lancé en 2007, a vu son prix multiplié par trois, pour atteindre les 10,5 Mrds €, avec une entrée en service attendue pour la fin de 2018, avec six ans de retard. Et ce calendrier ne tient pas compte d'un éventuel ajustement qui pourrait être demandé par l'Autorité de sûreté nucléaire qui enquête sur des défauts de résistance mécanique de certaines pièces cruciales de la cuve… En Finlande, la facture du réacteur numéro 3 d'Olkiluoto est passée de 3,5 à 8 Mrds €. Ce qui pose de graves problèmes à Areva, en conflit avec son client, TVO, chacun réclamant des milliards à l'autre. Un différend dont le règlement a été confié à la Chambre de commerce internationale. L'entrée en service, initialement prévue pour 2009, est aujourd'hui annoncée pour 2018, soit huit ans de retard pour treize années de travaux. Dans les deux cas, la construction a été émaillée de problèmes, malfaçons et surcoûts. Ce qui fait justement dire à EDF qu'elle a appris de ses erreurs et qu'elle saura désormais tenir les délais. Faute de quoi, des pénalités pourraient être appliquées.

 

Le Brexit va-t-il changer la donne ?

 

Cependant, tout n'est pas encore joué : le nouveau gouvernement britannique de Theresa May, doit maintenant signer le contrat. Le quotidien Le Figaro, rapporte les propos du ministre des Affaires économiques et de l'Energie, Greg Clark : "Le Royaume-Uni a besoin d'une énergie fiable et sûre et le gouvernement estime que le nucléaire est une part importante du mix énergétique. Le gouvernement va considérer attentivement le projet et rendra sa décision à l'automne". Au moment où seront entamées les négociations du Brexit donc. Une période charnière dont l'issue est incertaine pour l'économie du pays et de l'Union toute entière. EDF se veut rassurante, Jean-Bernard Lévy, son p-dg, avance que l'entreprise "s'appuie sur des résultats opérationnels très solides". Pour lui, Hinkley Point représente un atout unique pour les industries française et britannique en faisant bénéficier toute la filière nucléaire des deux pays d'emplois, au sein de grandes entreprises et de petits sous-traitants.

 

 

Il est prévu que le premier béton du réacteur 1 soit coulé à l'été 2019. Un signe de plus selon EDF, qui y voit une inscription "dans la parfaite continuité du démarrage de l'EPR à Flamanville, programmé fin 2018". L'électricien français reste formidablement optimiste, malgré l'énorme chantier de rénovation et remise à niveau du parc de réacteurs français, un chantier estimé à plusieurs dizaines de milliards d'euros…

 

EDF assure ses arrières :
Le fournisseur d'électricité français est entré en pourparlers avec la Caisse des Dépôts et CNP Assurances pour leur céder 49,9 % de RTE contre un montant d'environ 8,5 Mrds €. Cette opération rentre dans le cadre du programme de redressement financier du groupe qui prévoit de revendre environ 10 Mrds € d'actifs d'ici à la fin de la décennie.
D'autre part, dans son projet de reprise des activités nucléaires d'Areva (conception et fourniture de réacteurs et d'équipements, assemblages de combustibles et services à la base installée), EDF a précisé exclure les actifs, passifs et personnels liés à la réalisation du projet d'EPR Olkiluoto 3, qui connaît de graves difficultés. Selon le protocole d'accord non engageant, il est prévu qu'EDF prenne le contrôle majoritaire d'une nouvelle entité ("New Areva NP") et que la participation d'Areva soit comprise entre 15 et 25 %, dans le cadre d'un partenariat stratégique. D'autres partenaires minoritaires pourront se partager jusqu'à 34 % du capital restant. Le capital global a été fixé à 2,5 Mrds € à la date de réalisation de l'opération.
"Ce projet permet une meilleure sécurisation des activités les plus critiques du Grand carénage pour le parc nucléaire existant en France, et une amélioration de l'efficacité des prestations d'ingénierie, de gestion de projets et de certaines activités de fabrication grâce au retour d'expérience d'EDF", annoncent les deux partenaires. Une seconde société, centrée sur la conception et la construction de l'îlot nucléaire pour les projets de nouveaux réacteurs, en France ou à l'étranger, sera également créée et détenue cette fois à 80 % par EDF et 20 % par Areva (ou New Areva NP dans le futur). La mise en œuvre est prévue pour le début de 2017, indépendamment de la première co-entreprise.

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