Les micro-algues ont de multiples applications industrielles : dans le cadre du projet Algoroute, des chercheurs français travaillent à développer un bio-bitume à partir de leurs résidus. Le produit obtenu pourrait être utilisé dans les revêtements routiers en remplacement du bitume de pétrole. Eclaircissements avec Emmanuel Chailleux, directeur de recherches à l'Ifsttar.

Les micro-algues sont de plus en plus employées dans la construction : pour capturer du CO2 à la sortie des cheminées d'usine, en façade pour réguler thermiquement les bâtiments, ou dans des peintures biosourcées. Dans le cadre du programme Algoroute, financé par la région Pays de la Loire, un consortium de laboratoires de recherche et d'entreprises propose un nouvel usage : un bio-bitume capable de remplacer le bitume, ce produit pétrolier lourd, issu du raffinage. Car, chaque année, il est consommé à hauteur de 3 millions de tonnes en France, dont 90 % dans la construction routière et le reste dans l'étanchéité.

 

Les scientifiques du CNRS et de l'Ifsttar se sont donc attachés à trouver une réponse à l'aide de la chimie dite "verte", en développant un matériau capable de remplacer le dérivé du pétrole, sans pour autant entrer en concurrence avec d'autres usages à forte valeur ajoutée, comme l'énergie (biocarburant) ou l'alimentation. "L'idée originelle était de produire un liant hydrocarboné issu de la biomasse", nous précise Emmanuel Chailleux, coordinateur du projet Algoroute et directeur de recherches à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux. Les micro-algues présentaient d'emblée toutes les caractéristiques recherchées : une croissance rapide, une grande biodiversité avec plus de 200.000 espèces différentes, et une forte production de lipides pouvant représenter jusqu'à 80 % de leur poids. Leur utilisation est courante dans certaines industries comme la cosmétique, où elles servent de colorants, ou dans l'agro-alimentaire, comme compléments. Et leur raffinage permet d'obtenir des biocarburants alternatifs au pétrole. "Comme leur culture coûte encore relativement cher, la première valorisation est cantonnée à des produits de haute valeur. Nous nous posons donc dans une optique de deuxième valorisation, en utilisant des résidus", nous explique le spécialiste.

Hydrophobicité et viscoélasticité

C'est une technique de "liquéfaction hydrothermale", utilisant de l'eau sous pression en condition sous-critique (température inférieure à 374 °C et pression inférieure à 221 bar), qui est utilisée pour obtenir une phase visqueuse noire et huileuse. "Le bio-bitume est différent chimiquement du bitume pétrolier, issu lui d'un processus de plusieurs millions d'années, et qui contient plusieurs milliers de composés chimiques différents. Il nous reste à caractériser ce bio-bitume mais, finalement, ce que nous cherchions avant tout était une fonction d'usage", poursuit Emmanuel Chailleux. Deux critères étaient fondamentaux : l'hydrophobicité, afin de se prémunir des effets de l'eau, et des températures de mise en œuvre compatibles avec l'utilisation sur une route. "Il faut que le produit soit thermo-susceptible et soit liquide au-delà de 100 °C, bien au-dessus des températures normales d'usage, comprises entre -20 et 60 °C. Dans cette gamme, sa rigidité est importante pour assurer la cohésion de la structure granulaire de la route. Un matériau visqueux permet à la chaussée de se déformer sans se casser, contrairement à du béton par exemple", précise le chercheur de l'Ifsttar. Le bio-bitume, utilisé dans un enrobé, supporte les charges et relaxe les contraintes mécaniques. Des essais de tenue dans le temps ont débuté, ainsi que des études évaluant la rentabilité industrielle du procédé.

 

"Pour remplacer intégralement les 3 millions de tonnes de bitume consommées en France, il faudrait une surface de culture de micro-algues égale à la moitié de la superficie de Nantes-Métropole", ajoute Emmanuel Chailleux. "Mais la consommation de bitume va diminuer à l'avenir, car son recyclage va se généraliser. Et on peut également imaginer utiliser d'autres résidus que ceux des micro-algues, notamment des résidus issus de l'agroalimentaire", évoque le chercheur. L'industrie des micro-algues doit donc encore croître avant d'envisager de tels développements. Mais la solution de culture utilisant potentiellement des eaux grises et du CO2 capturé dans des usines, est prometteuse pour l'environnement. D'autant que la productivité à l'hectare des micro-organismes marins est deux fois supérieure à celle des plantes terrestres. Le vieux slogan "En France, on n'a pas de pétrole mais on a des idées !" est donc toujours d'actualité.

 

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Un simili-bitume bio

Algoroute
Algoroute © Ceisam
Le bio-bitume obtenu n'est pas vert... Il est noir et visqueux, comme le bitume de pétrole. Si sa composition chimique est différente, ses propriétés rhéologiques sont, en revanche, très similaires.

Petit enrobé

Algoroute
Algoroute © Ceisam
Le rôle du bitume est de stabiliser et protéger la structure minérale du revêtement routier.