EXPOSITION. Faire fonctionner sa matière grise pour consommer moins de matières premières, tel est le credo des commissaires de l'exposition qui se tient au pavillon de l'Arsenal (Paris) jusqu'au mois de janvier 2015. Les deux architectes font un tour du monde du réemploi des matériaux de construction qui démontre que l'ingéniosité est la clef. Découverte.

"Réemployer revient à considérer que les matières premières ne sont plus sous nos pieds, ou à l'autre bout du monde, mais dans nos villes, nos bâtiments, nos infrastructures. Cela revient aussi à considérer la matière présente non plus comme un déchet à évacuer le plus loin possible, mais comme un capital à valoriser et à préserver", expliquent Nicola Delon et Julien Chopin, de l'agence Encore Heureux architectes. Commissaires de l'exposition "Matière Grise", qui se tient à Paris, au Pavillon de l'Arsenal jusqu'au 4 janvier 2015, ils formulent une nouvelle approche de la construction. "L'ingéniosité ne sera plus uniquement celle du dessin sur la page blanche, mais la capacité et l'opportunité de faire avec ce qui est là", estiment-ils.

 

Le titre de l'exposition évoque également l'énergie grise, cette ressource dépensée pour extraire, transformer, transporter et mettre en œuvre les matériaux. Les deux architectes citent le "Earth Overshoot Day", Jour du dépassement global, date théorique à laquelle l'humanité a consommé la totalité des ressources renouvelables sur une année et commence à puiser dans des réserves qui s'amenuisent. "En 2014, cette date était le 19 août. Les 134 jours restant sont donc des jours matériellement à crédit", soulignent-ils. "En 2008, une de nos premières commandes importantes fut une scénographie célébrant les 70 ans de la SNCF. Une fois l'opération terminée (…) la quasi-totalité de ce qui constituait cet aménagement fut jeté à la benne. En quelques heures, cette grande quantité de matière neuve est passée de la lumière des projecteurs à l'ombre de la décharge", racontent Julien Chopin et Nicola Delon. Un gâchis qui les amène à se questionner sur le réemploi, distinct du recyclage. Il s'agit d'une nouvelle utilisation d'un matériau existant, sans transformation radicale de sa forme mais en détournant éventuellement sa fonction initiale.

Démonstration par l'exemple scénographique

Les architectes ont donc parcouru le monde afin de dénicher des projets de réemploi des matériaux usés. Soixante-quinze projets sont mis en avant dans l'exposition, démontrant les capacités à réutiliser tous types de ressources : éléments de bétons préfabriqués, pilotis maritimes, traverses de chemin de fer, enrouleurs de câbles, plaques de plâtre, briques et tuiles de seconde main, menuiseries de récupération… Les constructeurs font feu de tout bois. "Matière Grise pose l'acte de construire comme une actualité susceptible de faire évoluer l'architecture, replace l'architecte au centre du cycle de la matière et interpelle tous les métiers du bâtiment : ingénieurs, contrôleurs techniques, industriels, assureurs, entreprises de construction, maîtres d'ouvrage privés et publics", espèrent les deux commissaires.

 

Adoptant le concept de réemploi pour réaliser la scénographie de l'exposition, Nicola Delon et Julien Chopin ont choisi de n'utiliser que la matière présente sur place, récupérée de l'exposition précédente. Un exercice de style qui a nécessité un inventaire précis, d'une déconstruction attentive et d'opérations de découpes des panneaux de contreplaqué, OSB, aggloméré et poutres. "A l'exception de la peinture et de la petite quincaillerie, aucun matériau neuf n'a été nécessaire à l'élaboration de cette scénographie", assurent-ils. De quoi donner des idées à tous les visiteurs pour des projets d'aménagement ou de construction à l'aide de ce qui était encore considéré comme un déchet.

 

Découvrez une sélection de projets emblématiques dans les pages suivantes.

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Andramatin architect - Potato Head (Indonésie, 2010)

Matière grise
Matière grise © Iwan Bann
Un club balnéaire de luxe à Bali est habillé d'une enveloppe de fenêtres à claire-voie en teck datant du 18e siècle, chinées dans tout l'archipel indonésien. "En raison de la nature commerciale et de l'emplacement privilégié du projet, il a été vraiment difficile de convaincre le propriétaire que le concept de réemploi de matériaux allait fonctionner", précise l'architecte.

DesignBuildBLUFF - Nakai House (Utah, 2011)

Matière grise
Matière grise © Scott Zimmermann
Une famille vivant dans une réserve indienne Navajo (Utah) a reçu un kit de maison préfabriquée. Les étudiants du DesignBuildBLUFF choisisse d'inverser le sens de la toiture pour collecter l'eau de pluie. Bardage en cèdre, panneaux d'aluminium et poutres IPN sont issus de réemploi.

Abattoir 8B - Matadero, Madrid (Espagne, 2009)

Matière grise
Matière grise © Carlos Fernàndez Piñar
Dans l'enceinte des anciens abattoirs de Madrid, le hangar 8B a été transformé en espace de bureaux. L'architecte remarque, à proximité, un tas de tuiles destiné à la décharge. Il imagine alors un nouveau type de cloison intérieure les employant.

Juan Luis Martinez Nahuel (Chili, 2010)

Matière grise
Matière grise © Juan Luis Martínez Nahuel
L'architecte chilien a fait emploi à des matériaux réutilisés, dont les menuiseries extérieures, pour réaliser ce cottage sur les bords du lac Pirihueco.

La Passerelle - Niclas Dünnebacke (Seine-Saint-Denis, 2013)

Matière grise
Matière grise © Cyrus Cornut
Structure d'hébergement installée par Emmaüs Coup de Main en bordure du Périphérique, elle accueille des familles roumaines issues de campements voisins. Sur la base d'anciennes cabanes de chantier, une enveloppe complète a été construite avec des matériaux récupérés afin d'isoler les logements du froid et du bruit. La construction a été réalisée par les Bâtisseurs d'Emmaüs avec les conseils d'Architectes Sans Frontières.

Norderparkbar - Overtreders W & Bureau SLA (Amsterdam, 2012)

Matière grise
Matière grise © Jeroen Musch
Tous les matériaux de construction, y compris le camion ayant servi à les acheminer sur place, ont été achetés sur Marktplaats.nl (l'équivalent du boncoin.fr) : trois unités de construction de service d'urgence hospitalière, 42 fenêtres, 10 lucarnes en polycarbonate, du bois, des toilettes, des miroirs, 20 m² de carreaux en céramique verte, 6 m² de carreaux blancs, de la peinture et des vis.

Europa - Philippe Samyns & Partners (Bruxelles, 2015)

Matière grise
Matière grise © Philippe Samyn & Partners
Pour le nouveau siège du Conseil de l'UE, Philippe Samyn a imaginé une façade composée de vieilles fenêtres en chêne, collectées dans chacun des 28 Etats membres. Un objectif facilement rempli grâce à l'implication d'un brocanteur bruxellois qui a mobilisé son réseau et effectué un relevé précis de chaque fenêtre.

Lavezzorio community center - Studio Gang Arhitects (Illinois, 2007)

Matière grise
Matière grise © Steve Hall, Hedrich Blessing
La construction de ce centre d'hébergement associatif à Chicago a été rendue possible par de nombreuses donations en nature. Pendant 5 ans, le projet architectural a évolué au gré des arrivées de lots de matériaux. La façade porteuse, qui tire parti des différents stocks de ciments et de granulats, est donc composée de différentes strates. "Le joint de reprise entre deux banches de béton - cauchemar de tout architecte - se transforme en ode enjouée à la fluidité du matériau", précisent les architectes du Studio Gang.

dnA House - BLAF Architecten (Belgique, 2013)

Matière grise
Matière grise © Stijn Bollaert
Dans une banlieue résidentielle de Bruxelles, cette maison cruciforme est construite à l'aide de briques de réemploi. "Nous voulions concevoir une ruine intelligente", clament les architectes de BLAF Architecten.