POINTS DE VUE. Dans leur livre "Pour éviter le chaos climatique et financier", le climatologue français Jean Jouzel, membre du Giec, et l'économiste Pierre Larrouturou, signent un chapitre dédié à la construction en bois. Un mode constructif qui aurait toutes les vertus. Morceaux choisis.

"Construire autrement. Construire en bois". Par ces quelques mots, Jean Jouzel et Pierre Larrouturou plantent le décor d'un des chapitres de leur ouvrage "Pour éviter le chaos climatique et financier" (Odile Jacob). Pour les deux auteurs, le constat est sans appel : malgré tous ses efforts, le béton est - et restera - fortement émetteur en CO2.

 

 

Ils rappellent tout d'abord que le ciment - à lui seul - représente 5 % des émissions mondiales de gaz carbonique et que l'impact du béton est "probablement 2 à 3 fois plus important". Car la production du ciment génère de grandes quantités de carbone, en raison des étapes de cuisson qui permettent de transformer le carbonate de calcium en chaux, mais également des réactions chimiques qui libèrent également du dioxyde. A cela, il faudra encore ajouter l'extraction du sable, qui se fera toujours plus loin des villes et nécessitera des transports plus longs, ou l'incorporation des aciers dans le béton, dont l'empreinte carbone est loin d'être négligeable. Au final, en s'appuyant sur des chiffres de l'Ademe, l'économiste et le climatologue avancent une émission de 400 kg de CO2 par mètre cube de béton utilisé sur un chantier. "Même si on arrive à améliorer le bilan carbone du béton, ce matériau demeurera un puissant polluant pour notre atmosphère", estiment-ils.

 

Il est donc nécessaire de changer de paradigme dans le monde de la construction, en utilisant un matériau non émetteur, qui offre même une opportunité de fixer du CO2 pendant sa phase de croissance : le bois. Ils soulignent : "Une exploitation raisonnable de nos forêts permettrait de profiter au maximum de leur capacité à capter le carbone". Un peu plus loin, ils vantent la durée de vie du matériau, une fois utilisé : "L'Ademe et tous ceux qui travaillent dans le secteur du bâtiment affirment que l'espérance de vie du bois de charpente et du bois utilisé pour faire des murs porteurs dépasse 100 ans". Jouzel et Larrouturou affirment : "Avec le bois de gros œuvre, le secteur de la construction peut ainsi participer activement à la lutte contre le réchauffement climatique". Et là encore, ils annoncent des chiffres de l'Ademe pour estimer la capacité de stockage d'un mètre cube de bois cette fois : 925 kg. Même en retranchant les étapes de séchage, façonnage et de transport, qui nécessitent de l'énergie, le bilan reste favorable au matériau naturel, avec un bilan net de 425 kg de CO2 stockés par m3 sur le chantier.

 

Tout construire en bois (ou presque)

 

Et les deux auteurs s'enthousiasment : "Construire en bois ? Le challenge est aujourd'hui rendu possible par les progrès extraordinaires de la construction bois depuis quinze ans". Ils citent les projets de tours comme Hypérion (Jean-Paul Viguier) ou ceux qui sont prévus à Saint-Etienne et Paris. Si Jean Jouzel et Pierre Larrouturou s'interrogent sur la pertinence des tours de dix, quinze étages ou plus, ils conviennent : "Il est essentiel d'accélérer le développement de la construction en bois. Le béton reste indispensable dans certains cas (construire le viaduc de Millau en bois aurait sans doute été très difficile…) mais le bois devrait devenir la norme pour des constructions normales". Ils signalent que la ressource existe en France, et qu'elle est encore sous-exploitée : "Avec un prélèvement de seulement 5 millions de m3 supplémentaires, soit 1 % du stock non récolté, on pourrait réaliser en bois l'intégralité des immeubles neufs résidentiels produits chaque année".

 

 

Pour eux, l'enjeu est maintenant de faire évoluer les mentalités. En convaincant les professionnels tout d'abord, au bénéfice de travailler sur des chantiers plus apaisés, moins sales et plus rapides. En insistant auprès des utilisateurs sur le confort des habitats en bois ensuite, avec un matériau perçu comme "chaleureux" et "réconfortant". En modifiant les réglementations, trop favorables au béton enfin. Une note de bas de page fait parler un spécialiste : "En France, le lobby du béton a réussi à imposer dans la règlementation thermique le dogme du 'confort d'été'. Le matériau béton, réputé à forte inertie, éviterait la climatisation. Ce confort est largement illusoire car, en période de canicule en ville, la température ne baisse pas la nuit : inutile d'ouvrir les fenêtres pour emmagasiner le froid dans les murs…" Afin de parvenir à révolutionner la France, patrie du ciment depuis 1830, ils précisent qu'un plan d'équipement industriel sera nécessaire. Les deux auteurs semblent convaincus de la pertinence de cette solution.

 

Construire en bois pour mieux déconstruire ensuite ?
Outre sa longue durée de vie, supérieure à 100 ans pour les charpentes et éléments structurels lourds, le bois présente un autre avantage, rarement évoqué, celui de son réemploi facilité. Le centre de ressources technologiques Nobatek a publié une tribune sur le sujet : "Pour réduire l'empreinte environnementale, la démolition des ouvrages en fin de vie doit faire place à la déconstruction. Mettre en pièces le bâtiment sans endommager les éléments qui le constituent doit être envisagé dès sa conception". Or, les assemblages bois traditionnels seraient aisément démontables, tout comme le désassemblage des éléments préfabriqués (murs et planchers à ossature) qui pourrait se faire en atelier. Ce qui permettrait d'alimenter une véritable économie circulaire du bâtiment, avec des bâtiments recyclés et une utilisation réversible des sites de construction. Un argument de plus qu'auraient pu avancer Jean Jouzel et Pierre Larrouturou.

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