ENTRETIEN. Thierry Repentin, président du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), dévoile à Batiactu la méthode avec laquelle les pouvoirs publics vont réécrire le Code de la construction et de l'habitat (CCH). L'idée force étant de faire primer un objectif de résultats sur un objectif de moyens.

Batiactu : Le projet de loi évolution du logement et aménagement numérique (ELAN) prévoit un volet simplification des normes. Il est aussi prévu que le code de la construction soit réécrit. C'est un immense chantier compte tenu de toutes les normes qui existent actuellement. Comment allez-vous procéder ?

 

Thierry Repentin : Rappelons que plusieurs textes portant sur la construction sont actuellement examinés par le parlement. Le projet de loi Elan, sur lequel le conseil s'est positionné en mars dernier, prévoit effectivement un certain nombre d'évolutions de normes pour la construction, concernant l'accessibilité ou l'individualisation des frais de chauffage par exemple. Ce qui est communément appelé le «permis d'expérimenter» est, lui, dans le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc).

 

"Comptons sur les professionnels pour identifier par ce biais les normes qui les privent de la liberté de faire autrement"

 

La finalité est de réécrire le code de la construction et de l'habitat (CCH), en partie seulement. Il s'agit du livre I qui contient toutes les réglementations techniques du bâtiment : la sécurité incendie, l'acoustique, l'accessibilité, la thermique… Cette réécriture se fait à droit constant, en convertissant en objectifs de résultats les textes qui imposent le moyen d'y parvenir. Nous ne nous interdisons pas cependant, dans ce processus qui passera en revue tout le livre I, d'identifier les textes pouvant aussi être simplifiés. Cette réécriture doit intervenir après une période d'expérimentation, dont les contours sont à définir, dans laquelle les maîtres d'ouvrage pourront déroger aux règles du livre I du CCH, à condition de démontrer qu'ils en remplissent les objectifs sous-jacents : c'est le «permis d'expérimenter» à proprement parler. Comptons sur les professionnels pour identifier par ce biais les normes qui, en imposant le moyen de parvenir à un résultat, les privent de la liberté de faire autrement, mieux, moins cher et empêchent l'innovation. Nous serons bien entendu particulièrement vigilants dans le cadrage de cette expérimentation afin de garantir aux usagers que les solutions alternatives proposées sont aussi sûres que ce que prévoit la réglementation.

 

 

Cette expérimentation puis la réécriture font l'objet de deux ordonnances distinctes prévues dans l'article 26 de la loi Essoc. C'est un chantier d'envergure, dont le pilotage a été confié au CSCEE dans lequel les acteurs sont mobilisés. Sans attendre que la loi Essoc soit votée, nous avons souhaité nous investir dans la démarche.

 

Batiactu : Dans le communiqué de presse sur le permis d'expérimenter, le CSCEE dit s'interroger sur la création d'un nouveau dispositif alors qu'il en existe déjà un dans la loi LCAP. Que cela signifie-t-il ? Est-ce que le nouveau permis d'expérimenter doit annuler celui de la loi LCAP ou doit-il au contraire le modifier pour lui apporter plus de souplesse ?

 

Thierry Repentin : La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016 a en effet initié un premier 'permis de faire' selon deux approches. La première prévoyait de déroger aux règles de construction avec la parution d'un premier décret relatif aux règles de sécurité incendie et d'accessibilité pour les projets d'équipements publics ou contenant des logements sociaux de maîtres d'ouvrage publics. L'expérimentation devait durer sept ans. Depuis la parution du décret en mai 2017, aucun projet n'a été déposé. Deux motifs ont pu être identifiés : le champ d'application trop restreint et des modalités d'instruction et de contrôles, réalisés à un niveau central, trop contraignants pour être attractifs. Le nouveau texte sur le "permis d'expérimenter" reprend l'ambition initiale, en élargissant le champ des dérogations à l'ensemble des réglementations techniques et pour l'ensemble des maîtres d'ouvrages, qu'ils soient publics ou privés. Il s'agit également de mettre en place une procédure d'instruction et de contrôle des dérogations qui soit plus efficace et plus simple pour les maîtres d'ouvrage tout en garantissant l'atteinte des objectifs, en particulier en matière de sécurité. Il est probable que cette procédure varie en fonction de l'enjeu.

 

"Les groupes de travail thématiques traiteront de chacune des réglementations techniques : accessibilité, sécurité incendie, thermique, acoustique, etc."

 

La seconde approche de la loi LCAP prévoyait une dérogation aux mêmes règles pour tout maître d'ouvrage mais circonscrit aux Opérations d'intérêt national (OIN). Ce dernier point, qui fait l'objet de projets en cours, ne sera pas remis en cause par l'article 26 de la loi Essoc.


Batiactu : Comment allez-vous travailler ? Quelles sont les thématiques abordées ? Quels acteurs y participeront ?

 

Thierry Repentin : Notre séance plénière de mercredi 11 avril a permis de définir l'organisation du travail pour la rédaction des projets d'ordonnance. Douze groupes de travail transversaux ou thématiques ont été créés. Les groupes de travail thématiques traiteront de chacune des réglementations techniques : accessibilité, sécurité incendie, thermique, acoustique, etc. Les groupes de travail transversaux porteront par exemple sur les modalités d'instruction et de contrôle des demandes de dérogations, les questions d'assurances ou comment réécrire le code à la lumière de la transition numérique en cours dans la filière. Un membre du CSCEE s'est positionné comme chef de file de chacun, aux côtés d'un chef de projet de l'administration. Sont conviés à ces groupes de travail les acteurs de la filière, selon leurs spécialités et les premières réunions doivent débuter dès la semaine prochaine.

 

Nous commencerons par définir l'expérimentation puis nous nous attaquerons à l'examen du CCH et à sa réécriture.


Batiactu : Qui prendra la décision finale ?

 

Thierry Repentin : Les projets d'ordonnance devront résulter d'un consensus des groupes de travail et seront examinés par le CSCEE avant que je les remette au ministre de la Cohésion des territoires. C'est au gouvernement qu'il reviendra de se saisir de ces propositions pour adopter le texte définitif de l'ordonnance.

 

"Le code de la construction ne sera pas supprimé du jour au lendemain"

 

Batiactu : Le code sera-t-il refondu quand la loi Essoc sera proclamée (en août ou à l'automne selon les prévisions) ? Si ce n'est pas le cas, à quel(s) texte(s) les acteurs de la construction devront -ils se référer ?

 

Thierry Repentin : Que chacun se rassure, le code de la construction ne sera pas supprimé du jour au lendemain et les acteurs de la construction continueront de se référer au code actuellement en vigueur. La première ordonnance encadrera la possibilité de déroger à certaines des règles qu'il fixe et la seconde ordonnance viendra se substituer au code existant à son adoption. La publication de la loi signera le point de départ des délais pour adopter les ordonnances. La première ordonnance, portant sur l'expérimentation d'un permis d'expérimenter, devra être adoptée dans les 3 mois donc d'ici la fin de l'année. La seconde, réécrivant le code, nous laisse 12 mois, c'est à dire, l'été 2019.

 

Batiactu : Malgré l'anticipation des travaux, ce délai sera-t-il suffisant ?

 

Thierry Repentin : Il est essentiel que le « permis d'expérimenter » démarre dès que possible pour alimenter les travaux de réécriture du CCH. Initialement, le délai pour la réécriture était de 18 mois, ce qui était déjà ambitieux. Or, il a été réduit à 12 mois à la faveur d'un amendement parlementaire au Sénat. Ce n'est pas tous les jours qu'on réécrit le CCH, la réussite du dispositif astucieux prévu par le gouvernement et donc la qualité de la réécriture des quelques 120 pages du code concernées, nécessite un retour à 18 voire 24 mois. Ceci serait davantage compatible avec l'objectif poursuivi, au risque d'une révision a minima. Nous sommes quoi qu'il en soit en ordre de bataille dès à présent afin de nous inscrire dans le délai actuel de 12 mois.

 

Batiactu : Allez-vous vous appuyer sur le code actuel ou le réécrire complètement sachant que le Gouvernement souhaite faire primer l'objectif de résultats sur l'objectif de moyens pour libérer l'innovation ?

 

Thierry Repentin : Nous ne pouvons bien sûr pas repartir de zéro. Le CCH est le matériau principal des travaux de ce conseil et à travers lui de l'exercice de la profession, depuis longtemps maintenant. Il le sera plus que jamais avec le travail de réécriture qui s'annonce. Bien que l'excès de réglementation et de moyens à mettre en œuvre fasse parfois perdre de vue l'objectif poursuivi. Celui-ci demeure bien présent, en filigrane, dans le texte. A nous de le faire ressortir. L'article 26 ne nous impose d'ailleurs pas de bannir l'objectif de moyens, mais de réécrire le CCH en y faisant apparaître clairement les objectifs de résultats. Il est essentiel pour beaucoup d'acteurs de conserver dans certains cas et à titre d'illustration, un moyen pertinent d'atteindre le résultat demandé…

"Il ne doit pas y avoir de perte de qualité sur la sécurité incendie"

 

Batiactu : Une fois que l'ordonnance sera ratifiée, quelles seront les conséquences de cette nouvelle version du CCH ? Qu'en sera-t-il des normes de sécurité ?

 

Thierry Repentin : D'abord, il est essentiel de rappeler qu'un grand nombre d'acteurs, surtout dans les premières années de la mise en œuvre du texte pourront continuer d'exercer leur métier comme ils l'ont fait jusqu'à présent. D'autres, de plus en plus nombreux avec le temps, pourront proposer davantage de solutions nouvelles pour remplir les objectifs du CCH. Bien sûr, ces solutions alternatives devront être contrôlées, d'autant plus rigoureusement qu'elles toucheront à la sécurité des personnes. C'est aussi au CSCEE et aux partenaires de nos travaux de définir des modalités de contrôle efficaces et pragmatiques. Si ce contrôle s'avère contraignant au point de brider l'innovation, nous aurons manqué notre cible. Beaucoup de dispositifs visant à favoriser l'intégration de l'innovation se sont développés pour le secteur de la construction avec des succès variés. Nous devons bien entendu nous appuyer sur le retour d'expérience de ceux qui les ont mis en place.

 

S'agissant des normes de sécurité incendie, le travail de réécriture devant nous est sans doute l'un des plus importants et des plus sensibles. Il ne doit pas y avoir de perte de qualité et je compte beaucoup sur les nombreux acteurs, professionnels de la sécurité incendie autour de la table et sur l'expertise apportée conjointement par le ministère de l'intérieur et la DHUP.

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