Le monde des liants hydrauliques est peut-être à la veille d'une révolution : une société française met actuellement au point un ciment à base d'argile qui pourrait constituer une alternative écologique au ciment Portland. Explications avec Julien Blanchard, fondateur d'Argiwest et p-dg d'Argilus.

Et s'il était possible de produire un ciment à froid, grâce à des matières premières abondantes et peu chères, dont les performances mécaniques seraient équivalentes à celles du vénérable ciment Portland ? C'est le défi que sont en passe de relever David Hoffmann, un ingénieur spécialisé dans la chimie des liants minéraux, et Julien Blanchard, président directeur général d'Argilus et spécialiste de l'écoconstruction. Ce dernier nous raconte : "Le nom HP2A vient de 'High Performance Alcaline Activation'. Dans le ciment Portland classique, la réaction est une recristallisation. Avec notre procédé d'activation alcaline, ce sont des liaisons covalentes dont la force est plus élevée qui se créent. La réaction moléculaire, qui se fait à froid, est naturelle et ne nécessite aucun produit issu de la pétrochimie. Cette technologie, issue des géopolymères, se résume en fait à recréer de la pierre à partir de l'argile".

 

 

Un matériau économique et écologique

 

Techniquement, l'argile est transformée mais pas cuite. Grâce à l'ajout de la matrice HP2A, le liant hydraulique spécifique composé de différentes matières tenues secrètes, une réaction moléculaire alcaline - et non cristalline - se fait, sans ajout de chaleur ou d'énergie. De quoi réaliser d'importantes économies dans le process. "Cette voie était très peu exploitée depuis que le ciment que nous connaissons existe. Elle était trois à cinq fois plus chère. Mais aujourd'hui, nous avons redescendu le coût à un niveau réaliste, qui est similaire voire inférieur à celui du Portland", nous révèle Julien Blanchard. Le ciment d'argile obtenu n'est pas gris mais d'une teinte marron-jaune. "Son empreinte écologique est faible : là où une tonne de ciment émet une tonne de CO2, une tonne de liant HP2A n'en émet que 50 kg. C'est vingt fois moins", poursuit le spécialiste.

 

 

Autre avantage environnemental, ce ciment d'argile fonctionne avec des agrégats minéraux comme les sables de roche ou du désert, qui ne sont pas valorisés. "L'argile est une matière première qui est présente partout et facile à extraire, tandis que les autres matières premières sont également faciles à exploiter. Il est possible d'utiliser des sables non marins ou non alluvionnaires, non lavés, issus de déconstruction et même des bétons broyés, ce que les cimentiers classiques ne peuvent pas encore faire. On peut également utiliser des matières recyclées comme le verre ou des agrégats végétaux comme le chanvre", détaille Julien Blanchard. Le ciment HP2A serait donc économique et ubiquitaire. Mais quelles seront les performances mécaniques du béton obtenu ? L'entreprise française promet qu'elles seront au moins équivalentes mais dans des délais plus courts. En compression, la résistance sera de 45 MPa, comme le Portland. Pour la tenue au feu, le matériau supportera 1.100 °C là où le béton classique ne tolère que 600 °C. Et la résistance aux agents chimiques et la durabilité générale seraient également supérieures aux standards actuels, notamment en raison de la passivation des aciers.

 

 

Un plan de développement béton

 

La société Argiwest, qui a déposé une demande de brevet européen en 2016, afin de protéger sa précieuse invention, est aujourd'hui soutenue par trois majors industriels : Airbus, Total et Michelin. "Ces groupes, qui sont en dehors du domaine de la construction, ont un rôle de protection, de tutorat dans l'innovation. Ils n'ont pas un rôle actif, mais donnent un avis externe", nous déclare le président-directeur général d'Argilus. "Nous sommes en phase de caractérisation des futurs produits finis. Il nous faut déterminer les différentes activités où le ciment HP2A pourrait être appliqué. Nous n'avons pas encore de réalisation à ce jour, mais les premiers produits sortiront à la mi-2017 de l'unité Argilus, avant qu'une usine spécifique ne voit le jour en Vendée, près de la Roche-sur-Yon à la fin de l'année prochaine". Ces applications pourraient être extrêmement nombreuses et variées, depuis l'aménagement intérieur, la décoration, les colles et mortiers ou le mobilier urbain, jusqu'à des utilisations comme béton structurel dans le bâtiment ou les travaux publics. "Il y a des parts à grignoter dans le marché du ciment qui est énorme. Nous avons beaucoup à faire en Europe d'abord", conclut Julien Blanchard.

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