L'association Sherpa, qui défend les populations victimes de crimes économiques, a porté plainte ce lundi 23 mars au parquet de Nanterre contre Vinci Construction Grands Projets et les dirigeants français de QDVC, sa filiale qatarienne pour "travail forcé", "réduction en servitude" et "recel" à l'encontre des migrants employés sur ses chantiers au Qatar en vue du Mondial de football prévu en 2022. Le groupe de BTP réfute en bloc en portant plainte pour diffamation. Décryptage.

D'un côté, Doha, capitale du Qatar, s'affiche comme une somptueuse carte postale où tours, métros et nouveaux stades se construisent à grande vitesse pour l'organisation de la Coupe du monde de football en 2022… Et puis l'autre visage de l'Emirat, celui des conditions de travail indignes sur ses chantiers, dont les ONG internationales, les unes après les autres appellent les constructeurs étrangers sur place à agir.

 

"Travail forcé", "réduction en servitude" et "recel"

Côté français, pour la première fois, un grand groupe de BTP est attaqué. A en croire l'exclusivité du Parisien ce mardi 24 mars, l'association Sherpa a déposé une plainte au parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine), là où Vinci a son siège social, contre Vinci Construction Grands Projets et les dirigeants français de QDVC, sa filiale qatarienne, de 3.200 salariés. L'association, qui défend les populations victimes de crimes économiques, dénonce notamment le "travail forcé", la "réduction en servitude" et le "recel" à l'encontre des migrants employés sur ses chantiers au Qatar en vue du Mondial de football prévu en 2022. Les chantiers visés concernent notamment le projet de tramway de Lusail, du métro de Doha et celui du tronçon d'autoroute de 47 km, la New orbital Highway.

 

Une accusation aussitôt réfutée par Vinci qui a décidé de porter plainte pour diffamation. "À plusieurs reprises, nous avons ouvert la porte de nos chantiers aux syndicats et représentants du personnel, aux ONG internationales, et aux journalistes, nous assure le porte-parole de Vinci. Ils ont pu constater que nous faisons mieux que respecter le droit local du travail et les droits fondamentaux. Chaque collaborateur de QDVC bénéficie d'un libre accès à son passeport et les temps de travail et de repos sont strictement observés, on respecte donc le droit du travail local et les droits fondamentaux."

 

D'ailleurs, Vinci constate également que plus de "70% de ses ouvriers en fin de contrat décident, en rentrant de vacances, de revenir chez QDVC pour signer un nouveau contrat de deux ans." Toutefois, le groupe reconnaît qu'il peut "y avoir des choses à améliorer sur les chantiers notamment avec la sous-traitance qui représente 60 % des chantiers au Qatar."

 

"Lorsque l'on constate des cas en désaccord avec le droit du travail, on se sépare des sous-contractants, ce fut encore le cas ces mois-ci", martèle également le porte-parole de Vinci.

 

Avant de conclure : "Nous sommes donc indignés par les accusations portées contre nous et avons décidé : d'une part de porter plainte contre Sherpa, dont les propos diffamatoires constituent une atteinte grave à notre image ; d'autre part d'inviter sur place sans délai les représentants de Sherpa et tous les journalistes qui souhaitent se rendre compte par eux-mêmes de la vie sur nos chantiers et sur notre base-vie."

"Des menaces diverses pour contraindre une population vulnérable"

Une réaction qui ne surprend pas Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux dans le pôle Globalisation et Droits humains de l'association Sherpa : "On s'y attendait, c'est habituel", nous confie-t-elle.

 

Les enquêtes menées sur place "concluent à l'utilisation" par Vinci Construction et sa filiale qatarie QDVC "de menaces diverses pour contraindre une population vulnérable à des conditions de travail et d'hébergement indignes et à une rémunération dérisoire. Les passeports sont confisqués par l'entreprise et les travailleurs subissent des menaces s'ils revendiquent leur droit à de meilleures conditions de travail ou de logement, s'ils désirent démissionner ou changer d'employeur", précise Marie-Laure Guislain.

 

Et de rappeler : "Le groupe français, représenté par sa filiale qatari QDVC, a remporté plusieurs millions d'euros de contrats en vue de l'événement, et emploie directement, et par le biais de nombreux sous-traitants de droit qatari, près de 6.000 ouvriers sur place." Sans compter un nombre anormal de décès et d'accidents : "200 ouvriers népalais et indiens par an sont morts nous a confirmé l'ambassade du Népal ou de l'Inde…"

Un réchaud à gaz et un point d'eau pour 20 ouvriers…

Il faut souligner que cette plainte déposée auprès du parquet de Nanterre est très documentée de plusieurs dizaines de pages qui ont été fournies d'enquêtes d'avocats et juristes de Sherpa soutenus par la Fédération nationale des salariés de la construction, Bois et Ameublement CGT. "Tout d'abord, ce sont deux organisations syndicales népalaises, GEFONT et CUPPEC, qui ont signalé ces conditions de travail de leurs ressortissants au Qatar, alertant leurs homologues en Europe, puis Sherpa, nous témoigne Serge Plechot, secrétaire général de la fédération du bois et de la construction FNSCBA CGT. Et à l'invitation de l'Internationale des travailleurs du bois et du bâtiment, nous nous sommes rendus avec l'association Sherpa à une visite des chantiers en début d'année pour mieux comprendre quels sont les éléments accablants sur les conditions de travail sur les chantiers de QDVC, filiale de Vinci."

 

"Nos délégués syndicaux présents sur place ont eu l'amère surprise de se rendre compte que les ouvriers embauchés par QDVC à Lusail City pour le chantier du métro travaillent franchement dans des conditions moyenâgeuses : ils ont déploré des conditions d'hébergement catastrophiques, des chambres surpeuplées, avec un réchaud à gaz ou un point d'eau (douches ou toilettes) pour 20 ouvriers !", détaille-t-il. D'ailleurs, les ouvriers sont toujours piégés par le système dit "Kafala", poursuit le syndicaliste, qui n'existe plus officiellement que dans deux pays : le Qatar et l'Arabie saoudite. Il soumet tout travailleur étranger au pouvoir d'un sponsor, en d'autres termes un parrain, qui fait de lui la propriété de son employeur. "Ainsi, dès leur arrivée sur le chantier, les ouvriers sont contraints de remettre leur passeport aux employeurs et il est impossible de rompre le contrat de travail et de quitter de pays et de changer d'emploi sans la permission de l'employeur", complète-t-il.

 

Avant l'examen d'une nouvelle loi à l'Assemblée nationale

Par ailleurs, cette première plainte française est déposée quelques jours avant l'examen à l'Assemblée nationale, les 30 et 31 mars prochains, de la nouvelle mouture de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales vis-à-vis des activités de leurs filiales et sous-traitants à l'étranger.

 

Désormais, la balle est dans le camp de la justice française. Le procureur de Nanterre décidera d'ouvrir une enquête préliminaire ou de classer sans suite la plainte contre Vinci Construction Grands Projets. Il faut remonter à 2009, pour qu'une société française comme Total soit épinglée pour avoir utilisé des travailleurs forcés sur la construction d'un gazoduc en Birmanie…

 


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