Il est dur comme l'acier, il peut se rendre translucide, il résiste aux flammes. Imputrescible. Invulnérable. Qui est-il ? Le super bois, développé en secret par un homme, Timothée Boitouzet. Un architecte de 29 ans, également passé par le MIT, qui modifie la structure du bois grâce à un polymère et qui lui confère des propriétés étonnantes. Entretien avec le créateur d'un nouveau matériau prometteur.

Le bois est-il à la veille d'une révolution ? Un jeune chercheur touche à tout, architecte de formation, a mis au point un procédé permettant de rendre ce matériau naturel plus résistant aux agressions extérieures. De quoi l'utiliser en couches fines, translucides, et imaginer de nouveaux usages en aménagement intérieur, extérieur et même en éléments structurels. Timothée Boitouzet, nous raconte : "Je suis architecte de formation, sorti de l'Ecole de Versailles. Je suis parti au Japon, pendant deux ans, et j'y ai travaillé notamment avec Kengo Kuma. J'ai découvert la sensibilité pour le travail de la matérialité, l'attention au détail - très présente dans la culture japonaise - et cette quête de l'impermanence, de l'éphémère". Le jeune homme décidé alors d'aller plus loin avec des moyens technologiques. Il se rend donc à Harvard et se rapproche de chercheurs en sciences des matériaux et en biologie moléculaire. L'architecte collabore avec le prestigieux Massachusetts Institute of Technology et le Wyss Institute, en louant la synergie entre les disciplines.

 

Les apports de la chimie verte

 

Après deux ans de recherches supplémentaires, les scientifiques parviennent à rendre le bois plus résistant et "réactif à la lumière". De retour en Europe, Timothée Boitouzet travaille pour Dominique Perrault ou Herzog & De Meuron, mais il aspire à "faire de l'architecture sous microscope, à l'échelle moléculaire, pour inventer les matériaux de demain". En 2015, il créé sa startup Woodoo avec deux associés et dépose un brevet. Deux laboratoires, à Bordeaux et Nancy, participent aux recherches sur le super-bois. Concrètement, le processus se résume à deux étapes : "Extraire la lignine du bois, cette fibre qui le structure, par traitement chimique puis remplir les cavités du bois avec un monomère biosourcé qui polymérise in situ". Le bois obtenu est trois fois plus rigide que le matériau d'origine, et il s'avère imputrescible et résistant au feu. "Il est beaucoup plus dense, résistant aux insectes, ne subit pas d'oxydation et sa teinte ne s'altère pas avec le temps. Il n'est donc plus nécessaire de le traiter", nous révèle l'architecte. Autre apport : le polymère cristallin remplissant les cavités qui représentent entre 60 et 70 % du bois, permet la transmission de lumière et, de ce fait, la translucidité du matériau.

 

 

Des applications en intérieur et en extérieur

 

Les applications semblent donc infinies : Woodoo annonce une collaboration avec un designer à la fin de 2016 pour développer du mobilier. "A un horizon de deux ans, nous nous attaquerons au marché du second œuvre, avec des éléments de toiture, de façade et des bardages. Et d'ici à cinq ans, nous développerons des éléments structurels porteurs", détaille-t-il. Questionné sur le coût et l'impact écologique de ces transformations, Timothée Boitouzet répond : "Les monomères injectés sont biosourcés tandis que la lignine extraite du bois peut être valorisée en biocarburant, en fibre de carbone ou, potentiellement, en médicament. Ce sont donc des ressources vertes. Notre mode de production est écoresponsable". Economiquement, le procédé présente un autre avantage : il permet d'utiliser des essences dites de "faible constitution", généralement délaissées (peuplier, pin des Landes). Or la France dispose d'un gigantesque gisement de 2,6 milliards de mètres cubes, en grande partie inexploité. De quoi rendre la solution toujours plus attrayante pour les industriels. "Il nous faudra juste un peu de temps avant d'obtenir des ATEx… mais nous ne sommes pas dépendants d'un seul secteur et d'un seul produit", conclut l'architecte. La "jeune pousse", qui a reçu de nombreuses distinctions, prévoit d'ores et déjà de renforcer ses effectifs. Le début d'une nouvelle ère pour le bois ?

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