Evolution de la profession d'architecte, relance de la construction, obligations de diagnostic ou de rénovation, concertation avec les pouvoirs publics… A l'occasion des premières universités d'été de l'architecture, Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l'ordre des architectes, revient pour Batiactu sur l'actualité foisonnante de la fin d'année 2014.

Batiactu : Dans quel contexte se tiennent les premières "Universités d'été de l'architecture" ?
Catherine Jacquot : Deux thématiques principales se sont déclinées tout au long de l'été, qui se terminera le 16 octobre à Marseille : "Habiter la métropole" et "Habitat, mutations et innovations". La crise du logement, notamment en France où il y a 1,7 million de demandes pour les logements sociaux, nécessite une prise de conscience, non seulement de la quantité mais également de la qualité des logements à construire. Car il ne s'agit pas seulement de produire des logements mais également de s'adapter aux territoires, aux besoins et aux modes de vie.

 

Le contexte de la fabrication de la ville et de l'habitat est en train d'évoluer. On parle maintenant de métropoles, car les collectivités changent : il est question de réforme territoriale, de PLU intercommunaux dans la loi Alur, de nouvelles règles d'urbanisme auxquelles nous sommes très favorables, car l'échelle de la commune n'était pas la bonne échelle. Il y a également une mutation des financements et de l'économie de la construction avec un appel de plus en plus fort aux capitaux privés. Dans ces conditions, comment préserver l'intérêt général ?

 

Batiactu : Comment envisagez-vous le rôle de l'Etat et des pouvoirs publics ?
C.J. : Le rôle des élus et des architectes, avec les maîtres d'ouvrage, est de mettre en place de bonnes procédures, garantissant la qualité de la construction. En Île-de-France, les inégalités territoriales vont croissant. La réforme va-t-elle les réduire ? Nous nous interrogeons sur la question. Les logements sociaux sont sortis du code des marchés publics. Et en France, nous avons la culture des normes contraignantes et rigides, qui décrivent des processus techniques et dimensionnels très précis et ont donc façonné le logement d'aujourd'hui, souvent stéréotypé, rigide, uniformisé, mal adapté aux nouveaux usages et modes de vie des citoyens.

 

La difficulté d'accès à la commande publique pour les jeunes architectes, les jeunes agences est un exemple des difficultés que traverse la profession aujourd'hui. La loi MOP (maîtrise d'œuvre publique) avec la mise en concours obligatoire, est remise en question par une directive européenne, ce qui nous inquiète. Les petites agences ont déjà du mal à accéder à cette commande publique. Il y a énormément de candidats et les maîtres d'ouvrage ont des critères de sélection basés sur l'expérience dans le même domaine, d'une grande expérience, avec un chiffre d'affaires important. On aboutit donc à une spécialisation regrettable des agences, qui est préjudiciable à l'innovation. Nous plaidons pour la créativité dans tous les domaines et nous allons contre les ancrages et les stéréotypes. L'architecture donne aujourd'hui soit dans le conservatisme, soit dans le fétichisme de l'image ; au Conseil de l'ordre, nous ne sommes ni pour l'un, ni pour l'autre !

 

Batiactu : Justement, comment réintroduire de l'innovation dans la construction ?
C.J. : Là encore, nous plaidons pour la recherche et l'expérimentation en matière de conception de logements, notamment par la création de zone franches comme préconisé dans le rapport Bloche. Car le logement fait la ville. La transition écologique, la réhabilitation de l'existant, les architectes sont au cœur de ces processus. Outre le passif pour les constructions neuves, le chantier de la rénovation est primordial. Pour les architectes, la rénovation est un vrai projet et pas seulement quelques travaux effectués au petit bonheur. Les réhabilitations nécessitent un diagnostic global des édifices, contenant également un dialogue avec ses occupants, qui doit être mené par des professionnels compétents. Artisans et entreprises sont évidemment très compétents mais ne disposent pas de la vision d'ensemble qu'on les maître d'œuvre. Car il ne faut pas aborder les réhabilitations du seul point de vue énergétique. La précarité est un vrai problème mais il ne sera résolu qu'à l'aide de véritables projets de requalification et de revalorisation des bâtiments.

 

Batiactu : Que pensez-vous de l'obligation d'isolation par l'extérieur ?
C.J. : Les bras nous en tombent ! L'isolation par l'extérieur n'est qu'une technique parmi d'autres. Et les menuiseries ? La ventilation ? Le problème des pignons mitoyens ? Sans même parler des modénatures des bâtiments haussmanniens. Va-t-on tout revêtir de polystyrène ? Il y a bien sûr toute une série de dérogations possibles. Mais qui va déterminer si l'obligation d'isolation par l'extérieur devra être appliquée ? Cette situation va bloquer 50 % des travaux et dévaloriser le patrimoine urbain, c'est-à-dire celui des consommateurs.

 

Il s'agit là d'une décision qui a été prise sans connaissance de cause. Mais déjà des protestations s'élèvent, notamment en Alsace, pour préserver les maisons à colombages, ou dans le Nord, où la brique fait partie du patrimoine. L'isolation par l'extérieur est parfois tout à fait appropriée. Mais laissons les professionnels compétents juger de ce qui est nécessaire. Un amendement a donc été déposé contre cette obligation. C'est à la maîtrise d'œuvre de déterminer les travaux à faire et à quels coûts. Nous demandons que le diagnostic global soit fait en amont par un professionnel compétent, architecte et bureau d'études. Le DPE, par exemple, est très partiel, ne prenant en compte que la thermique. Et nous avons vu apparaître un nouveau métier, "les conseillers énergétiques", une invention superfétatoire. Les architectes sont déjà des médecins généralistes du bâtiment, qui se tournent vers les spécialistes de façon quotidienne et naturelle pour répondre aux questions techniques. Ils ont une vision synthétique.

 

Découvrez la suite de l'interview en page 2.

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