INTERVIEW. Agendas d'accessibilité, normes de construction, retards, évolution des mentalités, freins... La déléguée ministérielle à l'accessibilité nous répond, en toute transparence et franchise, sur l'impact et les conséquences de la loi Handicap. Interview.

Batiactu : Dix ans après, qu'est devenu l'esprit de la loi Handicap de 2005 ?
Marie Prost-Coletta :
Faut-il parler d'esprit de la loi ou d'engagement de la société ? Rappelons que cette loi a été portée par un Président [Jacques Chirac, ndlr], par des associations de personnes handicapées qui ont beaucoup travaillé au niveau français, européen et mondial. Hormis le fait que la France ait voulu s'inscrire, en 2005, dans une dynamique internationale en faveur de l'inclusion de chacun des citoyens, y a-t-il autre chose à dire sur l'esprit de la loi ? En revanche, pour essayer d'y arriver, on a posé cette date des 10 ans, notamment pour l'accessibilité des établissements recevant du public et des transports. C'était un moyen pour mettre en place le grand objectif, qui n'est remis en cause par personne à ce jour.

 

Batiactu : Cela signifie-t-il que l'on savait, dès le départ, que l'objectif des 10 ans serait irréalisable ?
M. P.-C. :
Vous connaissez le secteur de la construction ! Qu'il y ait eu de l'espoir, bien sûr, mais était-il rationnellement posé et fondé ? Quels sont les pays qui ont pris une telle orientation ? Exceptée la France, personne n'a borné la mise en accessibilité du cadre bâti. Si, le Portugal, mais avec des délais plus longs que ceux de la France, qui s'est mis la barre trop haute. La loi était très ambitieuse, le besoin était là, l'attente et les difficultés également. Il aura manqué aussi de la concertation avec les acteurs. Mais dire que les 10 ans, c'était l'esprit de la loi, non. L'esprit de la loi, c'est l'inclusion, la place de tous dans la société.

 

Batiactu : Mais nous n'y sommes pas !
M. P.-C. :
Non, en effet. Encore une fois, y a-t-il un pays au monde où c'est le cas ? Ce n'est pas une histoire de comparaison, mais de réalité. Faire des promesses qui ne peuvent pas être tenues, n'est-ce pas faire avancer l'objectif premier qui est l'inclusion ? C'est donc se donner les moyens d'aller efficacement vers l'évolution de notre société et de notre cadre de vie. Donc dire que l'esprit de loi, c'est penser que tout doit être réglé aujourd'hui, c'est se tromper de message. Nous n'avons pas attendu, à la délégation ministérielle, que l'on dise 'dans deux ans, on n'y sera pas !'. On le sait, et les associations de handicapés également, et ce depuis 2009. Et même s'il y avait eu cet engagement de tous, je dis bien tous, les acteurs, est-il possible, par exemple, quand du matériel roulant de type wagon dure 40 ans, de le changer en l'espace de 10 ans ? Il y a, quelque part, de l'irrationnel qui se mélange à l'objectif, qui est un objectif mondial je le répète. En France, les députés ont pensé qu'il était inadmissible que notre société ne fut pas au rendez-vous, on a créé la frustration alors qu'on veut apporter des réponses positives. La question est donc biaisée, mais c'est tout l'intérêt des personnes handicapées de biaiser ce type de question pour permettre de faire du buzz autour du sujet. Dix ans, c'est une gageure ! Mais merci d'avoir mis cette échéance de 10 ans, car ça a amené les acteurs à travailler et réfléchir. Ça a fait avancer les choses, mais ça ne peut pas toucher tout le monde, surtout en 10 ans, quand on sait le temps qu'il faut pour changer les cultures.

 

Batiactu : L'inclusion pour tous, d'accord, mais ça ne semble toujours pas une évidence ? Quand on voit le temps que ça a pris pour les acteurs du secteur du bâtiment d'avoir cette prise de conscience…
M. P.-C. :
Et pourtant, je crois qu'aujourd'hui, on a réussi à remobiliser autour de l'accessibilité, à redonner un nouveau souffle. Je n'ai jamais autant donné d'interviews, fait d'éditos, d'interventions dans des colloques, congrès et autres rassemblements de professionnels ! Il faut entretenir la flamme. Le fait que le Premier ministre ait osé dire 'on y va', a remis les projecteurs sur l'accessibilité. Je ne crie pas victoire, car ce ne sera pas facile. En revanche, je peux vous dire qu'à ce jour, les préfectures ont déjà reçu des Ad'Ap, qu'il y a une demande pas toujours satisfaite d'ailleurs.

 

Batiactu : L'accélération est donc récente. Il ne s'était donc presque rien passé jusqu'ici ?
M. P.-C :
Non, ce n'est pas vrai. On a réussi à donner un second souffle à l'accessibilité, la loi de 2005 a permis de mobiliser toutes les collectivités, les grands réseaux. Que ceux qui n'ont pas fini leur démarche l'achèvent, maintenant il faut emmener les petits. Priorité aujourd'hui aux petits établissements, à ceux dont on a besoin au quotidien : la quasi-totalité des mairies, pharmacies, agences La Poste et autres supermarchés est accessible, en revanche, quid des boulangeries, des coiffeurs… ? C'est l'enjeu d'aujourd'hui. C'est trop facile de dire que rien n'a été fait, il y a eu une forte mobilisation sur tout le territoire. L'accessibilité ne peut que gagner, mais il faut le temps des travaux !

 

Batiactu : Le temps des travaux a-t-il été le premier frein, selon vous ?
M. P.-C. :
Non, le premier frein a été la prise de conscience. Elle ne sera vraiment collective que lorsqu'on aura des déambulateurs partout ! La poussette, que l'on voit partout, ça aide. Là il y a un vrai lobby. Mais j'attends celui des déambulateurs. On ne peut pas voir vieillir les populations, sans que la qualité soit au rendez-vous. Il faut donc que les mentalités évoluent. J'entends encore ce genre de propos : 'pourquoi faut-il que tout le monde aille partout ?'. Ce n'est pas acceptable, surtout si ceux qui tiennent ces propos ont du pouvoir… Mais j'ai confiance dans notre société.

 

Batiactu : Revenons aux Agendas d'accessibilité… Est-ce une bonne alternative ? Où en est-on ?
M. P.-C. :
Je ne peux pas vous dire le contraire, car je ne parle que de cela depuis deux ans. Quant aux résultats, c'est encore trop tôt, puisque la date limite pour déposer son dossier est fixée au 27 septembre 2015. On attend une montée progressive, il reste un arrêté important à venir. C'est une approche plus pragmatique, qui met les gens face à la réalité. On leur demande de nous dire quel est leur projet, son financement ; ensuite, on leur accorde le délai nécessaire. Toujours avec en ligne de mire les petits commerces.

 

Batiactu : Y a-t-il eu des lobbyings de la part de ces petits commerces ou des petites collectivités pour dire que la mise en accessibilité ne serait pas possible ?
M. P.-C. :
Non, aucun. Le seul lobby qui se fait entendre aujourd'hui, c'est celui des personnes en situation de handicap clamant 'on veut notre accessibilité'. Et ils ont raison ! Sauf qu'à dire, on veut tout, tout de suite, ce n'est pas possible. Il reste un décalage entre la réalité et le discours.
Les Ad'Ap, c'est une vraie réussite, je vous assure. Regardez les chiffres que nous avons sur notre site dédié : plus de 900.000 pages lues, 305.000 visites. Ils parlent d'eux-mêmes !

 

Suite de l'interview en page 2

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